Monthly Archives: mars 2015

Apprendre

La petite Samanta, qui a maintenant 6 ans, a appris beaucoup depuis que nous la connaissons :
marcher
monter et descendre les escaliers sans se casser le cou
courir partout
être moins timide avec nous
demander ce qu’elle veut manger et ce qu’elle veut faire
exprimer son contentement quand on dit oui
faire fonctionner le iPad
ne pas trop martyriser son chien
choisir ses vêtements
dessiner des coeurs
faire le pain en me regardant
parler, d’abord sans ses RRR et maintenant avec quelques RRR de sorte que je peux la comprendre un peu
dire « por favor » et « gracias » quand elle demande et reçoit
fouiller dans le garde-manger
chanter comme une crécelle pour nous agacer
apporter des fleurs pour nous faire plaisir…

Et nous, qu’avons-nous appris pendant le temps où elle devenait un petite fille prête à aller à l’école?
quelques mots d’espagnol
la laisser fouiller dans le garde-manger
cultiver des orchidées
couper la tôle
utiliser de la noix de coco dans nos transplantations d’arbres et de fleurs
comprendre un peu Samanta quand elle parle
connaître l’humour de Maria, sa mère
attendre pour planter qu’il commence à pleuvoir
que la cruauté humaine n’a pas de limites, quand celui qui la pratique est certain d’avoir raison
que l’idée de Dieu n’est autre que celle qu’on crée à partir de son caractère et son ignorance
que les politiciens nous mentent comme si nous étions des enfants idiots et que, quelquefois, ils sont réélus quand même parce que nous sommes des idiots
qu’on ne peut pas déménager quand on veut comme on veut d’un pays, d’une maison
qu’on peut s’enraciner dans la beauté comme dans la laideur…

Chacun son âge, chacun son apprentissage.
L’enfant ne se demande pas si c’est agréable d’apprendre ; elle/il le fait parce que sa nature curieuse l’y pousse. Je suppose qu’il en est ainsi des tous les enfants qu’on nourrit suffisamment. L’adulte, lui, s’il veut continuer à avancer, doit apprendre, quelque part sur son chemin, à passer à travers l’agréable et le désagréable avec le même intérêt. Cela s’appelle, je crois, l’équanimité.

Pour vous, c’est lequel?

Les pensées, les mots et les concepts peuvent devenir aliénations maladives ou joyeuses communications de la vie.

Monica Hathaway, 28/04/03
Traduit par Maryse Pelletier

Ma peur

Il m’aura fallu des années pour ne plus avoir peur des hommes. Peur en général. Respect en particulier. Trop de respect. Trop de mon silence autour d’eux. Peur qu’ils expriment de la colère à mon endroit, qu’ils me jugent, qu’ils me rejettent, me méprisent, me frappent.

Ce n’est pas que j’ai été violentée, non. C’est que ma mère avait peur de mon père et qu’il ne faisait rien, mais rien, pour changer ce sentiment qui s’approfondissait, se solidifiait avec avec le temps. Il était tendu, elle avait besoin de son consentement pour presque tout, de son argent pour tout. Elle se sentait coupable de trop dépenser, il en rajoutait, or elle n’était pas dépensière et nous étions 7 enfants ; il fallait bien manger et nous habiller. Elle n’osait pas donner son opinion, contester ses décisions, or nous sommes tous passés par l’adolescence, cette période où il nous défendait de sortir, faisant de nous, au bout du compte, des êtres ayant des difficultés de communication avec leurs semblables.

Il m’a fallu toute ma vie d’adulte, en fait, pour me débarrasser de ma peur. Ce n’est que maintenant que je peux dire que je considère les hommes comme de vrais êtres de chair et d’os, qui ne se sentent pas nécessairement supérieurs, intouchables, infaillibles, qui ont peur aussi, faim, soif, qui tremblent devant l’inconnu, qui préfèrent quelquefois leur confort à l’aventure, leur femme à la voisine, qui continuent à apprendre, qui nous regardent souvent avec intérêt et attention, et qui sont aussi incertains que nous devant ce que la vie leur présente.

Toute ma vie d’adulte et, je le répète, je n’ai jamais été battue. Quelle difficulté ce doit être alors pour celles qui ont subi des coups ; j’essaie de l’imaginer et j’en suis incapable. Est-ce qu’elles y arrivent vraiment, un jour?

Orchidées

Pour le plaisir des yeux.

Pour le plaisir.

Ticos et tamales

Ici, à Alfombra, il faut réparer les routes souvent, à cause de la saison des pluies; c’est d’ailleurs commun à tout le Costa Rica. Pour ce faire, la municipalité donne un peu d’argent, mais les villageois doivent contribuer. Pas facile. L’électricité leur coûte le double de ce que nous payons au Québec, et leurs salaires sont entre 5 et 10 fois moins élevés; cela vous donne une idée de l’argent disponible dans les communautés. Tout près du zéro. Très près.

En plus, cette année, le projet de réfection est plus gros qu’à l’habitude. Non seulement on veut remettre toute la route en état, mais aussi en paver des bouts. Il faut donc une somme au moins trois fois supérieure à celle qui est dépensée habituellement. Quelque 3000,00 $ = 1,500,000 colones

Pour trouver l’argent qui manque, les villageois ont eu une idée : profitant du fait qu’il y a une fête de taureaux qui dure 4 jours, au début mars, à San cristobal (le village voisin, aussi partie au projet) ils ont décidé de devenir restaurateurs sur les lieux de la fête. Combien pensent-ils avoir de clients? Quel montant réussiront-nous à amasser? Personne n’en sait rien, parce que personne n’a encore tenté l’expérience. La chose se complique du fait que, pour faire de l’argent, il faut d’abord acheter les denrées de base et louer la cuisine sur les lieux de la fête (700$ pour 4 jours). Quand on sait qu’un repas se vendra aux alentours de 4$, on peut apprécier le nombre qu’il faudra servir pour payer seulement la location de la cuisine !

Ça, c’est le projet.

Pour le réaliser, ça ne va pas tout seul. Par exemple, avant de vendre la nourriture, il faut la préparer. Dire qu’ils ont du courage, ces gens-là est peu dire. Voyez un peu.

La cuisine communautaire attenant à l’arène est grande comme une (petite) église, et peut être utilisée comme celle d’un véritable restaurant. Elle a des comptoirs, des lavabos (qui manquent d’eau des journées entières, ça arrive, je l’ai vécu) un grand poêle au gaz et, au fond, presque dehors, un immense poêle à bois.

Comme base de notre menu, les « tamales » (prononcer ta-ma-lès) sorte de pâté de maïs, riz, légumes et viande, enveloppé dans des feuilles de banane et cuit à l’eau bouillante. Il faut préparer d’abord la pâte de maïs, la faire cuire, puis cuire et assaisoner le riz ; même chose avec la viande, qu’on aura coupée en carrés de 1 ou 2 po. Les feuilles de bananier, elles, sont passées au dessus de la flamme pour les amollir, essuyées avec un linge humide, puis coupées en morceaux de 2 tailles; il faut un grand et un petit morceau, ce dernier s’installant sur le grand pour recevoir la pâte de maïs et le reste. Pas simple.

Mais, en trois jours, nous avons fait 900 tamales. 900 ! Sans compter la ceviche de bananes, le piccadillo de papaye, celui de cœur de palmier, le bœuf et le porc en sauce, le porc et le poulet grillés, les patates assaisonnées et le riz blanc. À certains moments, nous étions 20 personnes dans la cuisine. Et ça, c’est seulement pour les tamales…

Mon amoureux et moi, qui voulions participer de près à ce projet, étions les seuls étrangers dans la cuisine. Tous les autres volontaires étaient costariciens (ils aiment qu’on les appelle les Ticos, les Ticas), hommes et femmes de tous âges. Ce sont les femmes qui cuisinaient, bien sûr, mais les hommes préparaient les aliments, transportaient les denrées, entretenaient le feu, lavaient la vaisselle et le plancher et allaient préparer et dégarnir les tables, entre autres.

Le premier jour, il y avait une jeune femme avec son bébé au sein. Elle est revenue le 2e jour, sans son bébé, puis on ne l’a plus revue. Il y avait des femmes dont les enfants ont quitté la maison, d’autres qui partaient à 13h pour aller récupérer les leurs à l’école. Il y avait aussi deux dames âgées (sans parler de moi) aussi constantes et engagées que les plus jeunes, qui, pas une seconde, ne se sont plaint de la chaleur ou de la fatigue. Et tout ce beau monde coupait, brassait, mélangeait, rinçait et assaisonnait de façon efficace, ordonnée. On aurait dit que la coordination allait de soi, puisque je ne voyais personne ni donner des ordres, ni en recevoir. Les femmes savaient quoi faire, et elles le faisaient. Vite, bien, avec le sourire.

Les Ticos n’ont peut-être pas d’argent à fournir pour les projets de réfection de routes, contrairement à nous les « gringos », mais ils donnent amplement de leur force de travail. Amplement. Sans ceux et celles qui ont travaillé dans cette cuisine durant ces jours, il n’y aurait pas de réparations de routes. Ils étaient d’ailleurs tout étonnées qu’on soit là, mon amoureux et moi, à couper des légumes, à laver la vaisselle, à prendre notre place dans la file de gens qu’il faut pour préparer les tamales.

lls n’ont pas cessé d’être surpris, parce que nous y sommes allés même le dernier jour, celui où on décrotte les chaudrons, où on sort les vidanges et lave le plancher à grande eau. Pas toute la journée, bien sûr. Trois ou quatre heures de travail par cette chaleur (n’oubliez pas le poêle à gaz et le feu de bois…) nous lavaient littéralement de notre énergie. Eux aussi, sans doute. Il ne faut pas penser qu’ils ne souffrent pas de la chaleur. Mais eux, ils restaient, pour la plupart, jusque dans la nuit, pour servir au comptoir.

Au bout de 3 jours de fête, nous n’avions plus ni tamales, ni porc ni bœuf à vendre. Il restait un peu de poulet, qui est parti comme l’éclair. Le 4e jour, il ne restait rien. Rien de rien. On avait tout vendu. Faut dire que le menu était délicieux.

Je ne sais pas encore combien l‘opération a rapporté. Mais c’est tout de même inouï de voir des gens qui donnent tant de leur temps, de leur énergie, de leur savoir, pour participer à un projet communautaire. Je suppose que le Québec d’avant les années 50 ressemblait à ça, dans les campagnes; j’ai entendu parler des corvées pour faire des maisons et des granges, par exemple. Ça s’est perdu avec le temps, avec l’argent aussi, peut-être.

Peut-être.

L’homme libre

L’espace ouvert l’intimide. Pour lui, les espaces ouverts sont à combler comme la feuille d’un examen à l’école : s’il y laisse des blancs, il est recalé. Vous vous souvenez? L’homme a oublié que tout ce à quoi il a donné un nom existe sans son consentement. Passé, présent et futur sont aussi des concepts séduisants qui occupent des espaces sur la page blanche. Les soi-disant dinausores sont arrivés et repartis sans consentement. Pour être ignorant, vous devez recevoir une éducation qui vous permet d’adorer les mots, de quelque façon que ce soit. Branchez-vous et allez à l’école, le collège ou l’université la plus proche.

L’espace est le vide et le vide est l’espace. Comme l’homme disait à sa femme qui donnait naissance à leur douzième enfant : “Une autre bouche à nourrir”.

Emplissez l’espace! Des mots, des mots partout, et pas un souffle pour respirer.

Monica Hathaway, 03/04/04
traduit par Maryse Pelletier

Génie en architecture

Les histoires abondent
elles s’empilent haut
un gratte-ciel de mots
qui arrive au ciel
qui perce l’ozone
qui atteint le ciel.

Monica Hathaway, 03/04/04
traduit par Maryse Pelletier

Distillation

Une forme est une entité
Le mariage des formes est une entité
Un groupe familial est une entité
Un groupe politique
un groupe religieux sont des entités
Un village est une entité
une ville, une cité, une métropole
sont des entités
Un pays est une entité
Une ferme, une entreprise sont des entités
L’art est une entité qui prend la forme de préoccupations sensuelles variées.
Musique, peinture, danse, contes et littérature (fiction ou non),
Toutes les entités sont impermanentes.

Certaines personnes disent que je suis née dans un hôpital du Bronk, ou à New York, Philadelphie, Warsaw, ou que je suis née dans un avion, ou à Moscou ou au Tibet, à Londres, à Tokyo, en Iran, au Brésil, à Cuba, en Oregon ou à Montréal; que je suis née dans une mangeoire ou dans un palais, dans une cave, sur l’océan, sur une comète, sur une étoile ou dans le ciel; ou que je suis née dans les Andes, en Inde ou en Israel, ou née dans un pays étranger ; ou que je suis née on ne sait où, projetée dans l’immensité de l’espace et retrouvée à l’entrée des terres imaginaires et universelles des hypothèses. L’histoire commence et se déploie dans le passé présent et futur de l’enivrant droit à être.

Qui, où, comment et quoi sont lourds de leur propre poids.

Monica Hathaway, 03/04/04
traduit par Maryse Pelletier

Mai

Le ciel est rose
et vert bleu gris
le ciel est plein
cacophonie

la clé du monde
est imprimée
dans un nuage
désagrégé

une seconde
impénitente
est disparue
oh la folie

le temps passé
est déplié
est retenu
aux quatre coins

le temps devant
est enroulé
dans un nuage
qui vire au vent

Mai 2011

Contraste

Plus ma peau plisse à l’extérieur, plus je me sens lisse à l’intérieur. Je vis un bonheur tranquille, assez constant, sur lequel je peux m’appuyer pour recevoir à peu près tout, y compris les soubresauts désagréables dont la vie nous fait cadeau quelquefois. Ce n’est visible pour personne d’autre que moi. Mais c’est là, bien là, comme la ligne horizontale dans un paysage de montagnes.