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Hommage (aux images ratées)

Hommage aux ratés de l’amour pratiqué au lit, sur le comptoir de la cuisine ou dans l’herbe. Hommage aux pénis un peu mous, aux vagins tendus, aux crampes dans la cuisse et aux raideurs du dos; hommage aux amants qui tombent en bas du lit, qui se prennent les pieds dans les draps et que ça dérange énormément, qui ont froid aux fesses ou au dos et que ça refroidit – c’est le cas de le dire, hommage à ceux qui s’endorment tout de suite après l’orgasme parce qu’ils sont écoeurés fatikés de leur journée; que soient bénis et portés aux nues tous les moments inattendus et débiles durant lesquels on rate la pénétration, on jouit trop tôt, on s’excuse mal, et ceux où on veut faire semblant qu’on a du désir mais qu’on en est incapables.

Hommage à vous les filles qui ne savez pas feindre, qui n’avez pas envie de crier ou de sourire, qui vous asséchez parce que ça dure trop longtemps, qui pensez à votre rouge à lèvres déteint sur vos draps, qui vous demandez si votre déodorant fait encore effet, si vous avez bien pris votre douche le matin même, si la racine de vos cheveux teints ne se voit pas trop à la noirceur, qui avez un ongle cassé et qui essayer d’éviter de griffer le dos ou le ventre de votre partenaire, qui vous demandez comment il s’appelle déjà et qui le lui demande : « Comment tu t’appelles, déjà?  » pour être drôle.

Hommage à vous, les gars, qui ne savez pas toujours de quelle façon procéder, quel rythme utiliser, quelle partie caresser en premier, qui oubliez votre mode d’emploi, qui jouissez trop vite ou pas du tout, qui hésitez, qui devenez incapables de performer après 2 verres de vin, qui vous essouflez, qui devez vous laisser faire des fois, qui n’êtes pas satisfait de la taille de votre pénis, qui ne savez pas quoi répondre quand la fille vous pose une question embêtante comme « Comment tu t’appelles, déjà? » pour être drôle.

Hommage à la sueur qui imprègne les draps, l’air de la chambre, la peau. Hommage aux sons décousus, aigus, absents, aux pleurs, aux rires incontrôlables. Hommage à tout ce qui dépasse, ce qui n’est pas trop esthétique, à ce que vous ne prendriez jamais en photo.

Béni soit tout ce qui fait que, dans l’amour, on n’est jamais aussi beaux que dans les représentations qu’on en voit tous les jours où rien ne sent, où les partenaires jouissent bruyamment ensemble, où les amants sont beaux, peignés, maquillés, sans bouton ni rousseur nulle part sur la peau. Que grâces soient rendues à tout ce qui éloigne de la perfection des images qu’on nous jette au visage et qui nous restent dans la tête, dans la tête, dans la tête, de sorte qu’on court un grand risque de ne pas aimer l’amour quand il nous arrive, parce qu’il est loin de ressembler à ce qu’on a vu et qui est mis en scène parfaitement jusqu’au moindre détail parfait.

Hommage senti et vibrant aux supposés ratés de la relation. C’est ce qui les rend drôles, attachants, vivants, fructueux. Et pas mal plus beaux que tout ce qui est supposé être beau dans ce qu’on nous présente.

Avant et maintenant

Quand j’avais vingt ans, je voulais me libérer du corset qui m’enserrait, m’empêchait de me mouvoir à l’aise, entravait chacun de mes gestes. Maintenant, je danse comme je veux, quand je veux, je cours, je m’étire même dans mon sommeil, sauf que j’aimerais me débarrasser de cette douleur constante que j’ai à la cuisse gauche, et qui réussit de temps à autre à entraver mes mouvements.

Quand j’avais vingt ans, je voulais découvrir tous les fruits et légumes qui existent, apprendre les cuisines de partout sur le globe, goûter toutes les saveurs possibles et impossibles (je ne savais pas qu’on pouvait manger des sauterelles, cependant). Et maintenant, la liste des aliments que je ne peux plus manger est longue d’ici à demain.

Quand j’avais vingt ans, l’avenir m’apparaissait long, j’y voyais confusément quelque chose que je ne savais distinguer, étouffée que j’étais par les difficultés d’adaptation à ma propre vie. Maintenant, l’avenir ne m’intéresse qu’en ce qu’il permet de terminer des projets et le présent est clair, libre et plein.

Quand j’avais vingt ans, je ne connaissais ni mes forces et faiblesses, ni la bonne façon de travailler. Maintenant, je sais ce que je peux faire bien, j’essaie encore de me perfectionner et je ne refuse pas d’apprendre ce qui est nécessaire et utile. Ou même agréable.

À vingt ans, je voulais tout connaître de l’amour. Maintenant je veux seulement aimer le plus possible, le mieux possible, ma propre vie et celle des autres, le monde entier, même si parfois je ne le trouve pas très aimable, ou que je ne me trouve pas très aimable.

À vingt ans, je pensais que je pourrais contrôler ma vie, à présent je sais que je ne contrôle tout juste le mode de cuisson des courgettes, par exemple. Que le destin, les circonstances et les événements nous projettent sur des murs, dans des prisons, sur des vagues, des nuages, des montagnes, avec des gens et dans des rues bizarres, sous des ponts quand la catastrophe passe, nous entourent de clartés et de noirceurs dont la profondeur et l’intensité dépassent tout ce que j’aurais pu imaginer de meilleur et de pire.

À vingt ans, j’avais du mal à dire ce que je pensais, à penser même ce que je pensais, et je voulais réussir à m’exprimer enfin dans ma vie et j’en ai fait un combat qui a duré des années. Maintenant, je trouve que, la plupart du temps, ce que je pense n’a aucune importance. C’est ce que je fais qui compte. Ce que je fais.

Longtemps, j’ai cru que chaque personne, chaque individu, quelque soit son origine, son éducation, ses conditions de vie a, dans sa vie, un instant de clarté bénie où il peut opter pour la conscience et la connaissance de ce qu’il est, de ce qu’il fait, et changer ses habitudes néfastes ou nuisibles. Une seule habitude, même. Maintenant, je n’en suis pas certaine. Je le souhaite, simplement. Je le souhaite à chaque être vivant.

À vingt ans, je voyais la guerre de loin, je croyais que la paix allait survenir puisqu’on la voulait si fort et que le bonheur résidait dans l’éducation et dans le fait de pratiquer un métier qu’on aime et dans lequel on peut réaliser son potentiel. Maintenant, je sais que la guerre est en nous et tout près, à nos portes, que la paix est toujours à renégocier, et que le bonheur est une denrée rare et précieuse qui nous arrive presque sans raison, quelquefois seulement parce qu’on décide d’accepter qu’il est fait de tout et de rien, de respirations et d’acceptations. D’humilité et de conscience.

J’ai changé. La vie m’a changée. J’ai changé grâce à elle.

La réalité

Une horde de chevaux surgit de la rivière, sous le viaduc. Ils piaffent, s’aspergeant des éclaboussures qu’ils projettent les uns sur les autres et sur les rives escarpées de la rivière. Les hennissements concurrencent le gargouillement de l’eau sur les berges et les claquements des sabots sur l’eau mouvante. Tempête étrange, puissante, emportée. Je me réveille. Les sabots résonnent dans ma poitrine, les chevaux et leurs crinières continuent de piaffer en moi. Cela dure. Dure.

Ma main touche un drap. C’est la robe du cheval noir, le premier, celui qui mène la cavalcade. Son dos frémit, il renverse sa tête vers sa croupe, nerveux, magnifique, et continue à piaffer sur l’eau. Il ralentit. Tout derrière lui s’estompe, se fond dans les tourbillons de l’eau, sous le pont, dans la rivière encore frémissante. Il est seul.

Le plafond de la chambre. La tête du cheval s’y imprime, puissante, volontaire, avec ses yeux apeurés. Puis disparaît, tandis que la rumeur au fond de ma poitrine diminue son grondement, que la rivière devient un ruisseau, puis un filet d’eau.

Quel corps ai-je ? Ai-je une crinière sombre ou grise ? Je n’arrive pas à retrouver une image de moi qui soit actuelle. Je garde en moi le désir de toucher des chevaux, de les monter, de les aimer, de me fondre en eux, de galoper sur les cailloux de la rive. De profiter de leur bonté, de leur effort, leur joie, leur danse, leur fougue.

Et moi, ai-je encore ma fougue ? Je la cherche, son ombre renaît en moi. Son souvenir. Son odeur, sa couleur, sa texture, mais pas sa force.

Je ferme les yeux, retourne aux chevaux jusqu’à ce qu’ils disparaissent pour de bon dans le fond de la toile qui redevient vierge.

Je lève les draps, m’assois, me regarde. Mes cheveux sont gris, ma peau fanée.

Il y a des rêves qui nous font regretter qu’ils ne soient pas la réalité.

Par une journée claire

Je constate que je ne peux pas écrire sans penser. Si je pensais que je ne peux pas écrire, ma page resterait blanche. Pour écrire, je dois donc penser: « Je peux écrire ».

Avec cela en tête, j’écris sur ma page des histoires plus ou moins dignes de foi qui commencent bien et finissent mal. Elles ont toutes lieu au passé, au présent et au futur mais je ne peux pas les commencer à un autre moment que maintenant. Quand je pense au futur, il se presse de disparaître dans le passé tandis que le présent, habile, s’installe dans un lieu d’attente ou il lui devient possible de défiler sa bobine de fil pour en faire une belle petite pelotte.

Donc, il était une fois un endroit appelé « paradis » dans lequel des êtres naissaient. C’était un très gros nuage d’un blanc virginal qui s’était formé dans le ciel. C’était le seul nuage en cette journée claire. La chaleur du soleil nourrissait les êtres qui apparaissaient au paradis ; ils étaient bien nourris et très contents de leur sort. Il avaient tout en abondance et aucun d’entre eux ne devait chasser pour manger. L’énergie du soleil maintenait la vie dans le nuage blanc.

Lorsque le soleil se coucha, la lune apparut, et le temps, qui n’avait pas été important jusque là, descendit sur les êtres du paradis. Leur nuage fut enveloppé de noirceur.

Privés de la nourriture du soleil, ils commencèrent à s’énerver et à avoir froid. Ils se collèrent les uns contre les autres pour se réchauffer, et se retirèrent dans des cavernes parce qu’il y restait encore de la chaleur.

Lorsque la lune disparut et que le soleil se leva le lendemain, ils restèrent dans ces cavernes, continuant à se réchauffer dans la cohabitation et se nourrissant les uns des autres. Ils avaient revêtu leurs défroques de peur, et étaient dès lors devenus incapables de percevoir le lever du soleil et de recevoir son énergie nue.

Ils restèrent dans les caves et inventèrent des moyens de capturer la chaleur du soleil pour y maintenir la vie. Ils réussirent à capturer tant de chaleur pour éclairer et chauffer leurs grottes sombres que le soleil devint de plus en plus blafard et s’éteignit. Ils n’avaient plus que la chaleur qu’ils avaient capturée. Elle ne dura pas longtemps ; peureux, agités et affamés, les êtres l’utilisèrent jusqu’à ce qu’il n’en reste plus. Tout devint de plus en plus sombre, ils périrent les uns après les autres et ils appelèrent cela la mort.

Leur mort permit à la chaleur de se libérer et de retourner au firmament. Le soleil reprit vie une fois de plus.

Donc, il était une fois un endroit appelé « paradis » dans lequel des êtres naissaient. Le paradis était un très gros nuage d’un blanc très pur qui s’était formé dans le ciel. C’était le seul nuage en cette journée claire.

Monica Hathaway
Traduction : Renée et Maryse Pelletier