Monthly Archives: avril 2016

Sans famille

Je suis sevrée. Je ne dois rien à mon père, ma mère, ma soeur, mon frère, ou n’importe quelle personne avec laquelle j’ai des liens appelés consanguins. Être sevrée des liens familiaux ne consiste pas à avoir une pancarte sur la poitrine qui annonce : « À vendre au plus offrant; j’appartiendrai à celui qui fera le plus pour moi! » C’est totalement ridicule. Croyez-moi, cette connexion prétentieuse et attendrissante à un arbre familial, c’est exactement ce que je viens de laisser tomber. Je ne cherche aucune famille, ni meilleure, ni plus riche, ni plus puissante. Ces alliances familiales se forment sur les arborescences ou sur la roue karmique des tendances mentales des gens.

Je n’ai aucun désir d’être à un endroit où je trouverais du support ou des gens que je pourrais appeler mon groupe de support. Je ne cherche pas un abri dans le ceci ou le cela, le bon ou le mauvais, le faible ou le puissant, le riche ou le pauvre l’ignorant ou le sage, et ainsi de suite ; je ne cherche aucun abri. L’espace ouvert de l’ici et maintenant n’est pas un endroit d’offrandes aux dieux de ceci ou de cela; les dieux existent seulement dans les espaces clos des non sevrés. À flotter dans l’espace ouvert, on voit tous les abris et on ne veut appartenir à rien ni personne. Je flotte dans l’espace du présent où les murs existent seulement dans l’esprit de ceux qui s’illusionnent. Les amis spirituels n’offrent ni lieu ni abri. Ils se saluent dans l’espace ouvert et ne veulent aucunement être ailleurs.

L’âme immortelle qui cherche la protection d’un dieu n’existe que dans l’esprit des dupes. Posséder cette illusion ou y appartenir est certainement la plus drôle de toutes les vérités. C’est un canular immense, un mensonge monumental dans lequel les enfants non sevrés offrent des sacrifices au créateur Dieu – dont l’existence est au centre du monument construit par l’esprit pour honorer ce canular on ne peut plus drôle. S’il existe une essence indestructible, l’idée de la protéger, de la placarder, de la berner ou de la posséder quelque façon que ce soit est certainement l’entreprise la plus romanesque, la plus folle dans laquelle on peut s’engager.

L’essence indestructible est, simplement, et n’est jamais menacée par les faussetés de l’esprit. Ce n’est ni une concrétisation ni une abstraction. On ne peut pas la négocier à partir des mentalités romanesques et mensongères des royaumes (de la roue de l’existence bouddhique). Elle existe au-delà des discours des sens. La décrire en mots ressemble à une tentative pour résumer la vérité infinie et ultime en une pilule – pour le moins difficile à avaler aujourd’hui et à jamais. On peut la connaître, mais ne jamais la posséder ou l’utiliser dans une mentalité familiale. La connaissance est la libération elle-même, puisqu’elle ne nie ni ne met en valeur l’existence des relations. Elle place simplement ce relatif dans une perspective appropriée, dans l’espace ouvert de l’ici et maintenant. Rien de plus ne peut ou ne pourrait être dit maintenant et à jamais.

Je suis ce que je suis. Je suis alpha et oméga. Le début et la fin.

Monica Hathaway, M104
traduction : Maryse Pelletier

Présentez-moi!

Être un mauvais exemple est tout aussi bien que d’être un bon exemple. La reconnaissance est égale dans un cas comme dans l’autre. L’un ne peut se présenter sans que l’autre apparaisse. C’est le bien et le mal qui ne peuvent exister séparément.

Nous bon et nous mauvais doivent, par nature, exister ensemble. Hello! Impossible de se séparer. On se rencontre tout le temps. Si on défait l’ensemble, on devient des épaves et des débris dans un courant de vide.

Alors, prends garde, mon amour, à ne jamais me quitter!

Monica Hathaway, M103
traduction Maryse Pelletier

Vu dans les environs

On se demande si cette affiche a été installée à la porte du paradis ou de l'enfer... Photo D.D.

On se demande si cette affiche a été installée à la porte du paradis ou de l’enfer…
Photo D.D.

Bientôt, je suppose

Bientôt, je suppose.

Bientôt, je le suppose, je verrai mes frères et mes sœurs partir l’un après l’autre, emportant les images et les rêves de nos enfances, nos genoux éraflés, nos fronts cicatrisés et, par barges entières, nos envies de partir et de découvrir le monde, notre certitude de s’aimer et de rester unis tout le temps, nos chuchotements sous les couvertures la nuit pour essayer de nous aider à comprendre et à déjouer les parents, le bruit des cigales du village l’été, l’odeur du lac où nous avons tant et si souvent nagé, celle du bois coupé et celle des lilas de juin à côté desquels on passait pour aller à l’école, puis nos doutes sur la vie familiale, nos illusions quant à ce qui nous attendait, tout ce qu’on sait les uns des autres et qui devient petit à petit le passé, totalement passé, tout à fait passé, sans possibilité de renouvellement ni d’évolution, souvenirs sclérosés comme des photos jaunies dont le grain disparaît. Disparaît déjà.

Bientôt, je le suppose.

Bientôt, je le suppose, je serai rendue à cette période de la vie où mes amis disparaissent, emportant des souvenirs communs, des fêtes, des recettes particulièrement délicieuses, des moments forts de douceur, de compréhension, d’incompréhension, de découvertes, de trahisons, d’échanges, de temps passé ensemble, des départs, des arrivées… Les amis et amies, cette famille qu’on s’est faite en remplacement de l’autre et qui nous ressemble plus côté cœur et côté métier, côté quotidien et côté questions sans réponses. Ceux qu’on a perdus sans savoir pourquoi, ceux qu’on a perdus en sachant pourquoi, ceux qui nous sont arrivés comme des cadeaux incroyables, ceux qu’on a appris à connaître et à apprécier avec le temps, ceux qui nous ont fait découvrir des aspects de nous-mêmes qu’on aime ou pas, ceux qui sont fidèles, infidèles, constants, inconstants, ces étrangers si familiers qu’ils font partie de notre chair, bientôt, j’en perdrai quelques-uns. Ou ils me perdront.

Bientôt.

Ceux qui ont été les hommes de ma vie, dont je me souviens très bien, pour lesquels je n’éprouve plus qu’une tendresse incertaine et dont je ne parviens pas à retrouver ce qui, en eux, m’a fait tant de peine, tant voyager dans ma tête et dans mon cœur, tant plier les genoux de désir et de chagrin, ce qui m’a fait me tourner vers eux et eux vers moi, l’essence de cela que je ne retrouve pas en moi — comme une huile essentielle qui aurait perdu sa vertu —, ils n’existeront plus bientôt.

J’ai déjà pensé qu’on évoluait quand on le voulait, qu’on finissait par comprendre, par accepter, par avaliser tout ce qui nous a fait mal, ce qui cloche, qui dépasse, tout ce qu’on met de côté d’important sans le dire, je me trompais. Plus j’avance et plus je vois que ceux qui se pensent parfaits restent comme ils sont, que ceux qui n’ont jamais pensé à rien ne pensent encore à rien à moins de l’avoir voulu infiniment, qu’il ne suffit pas d’aimer pour rendre heureux ou pour être heureux, que les jeux de pouvoir existent dans la plus profonde des intimités, que notre corps, cette enceinte sacrée, sert de monnaie d’échange trop souvent, que notre idéal d’amour doit s’excuser alors de disparaître entre nos jambes parce qu’on est incapables d’imaginer survivre à la négociation du couple qui cherche à rester ensemble parce qu’il ne sait comment faire autrement, ou pour se faire souffrir davantage puisqu’il n’y a que ça qui donne, au bout du compte, la sensation d’aimer, perdus que nous sommes dans la confusion de nos sentiments mal nommés. Bientôt, je suppose, la douleur qui reste de cela disparaîtra comme une feuille qui se désagrège à l’humidité, un décor familier qu’on ne voit plus.

On a imaginé la construction de notre vie — s’il y a bien construction —, mais on n’en a jamais imaginé la destruction et la disparition. On n’imagine pas la vieillesse, il n’y a pas d’exemple désirable de vie de vieux. On imagine se faire des amis, on n’imagine pas les perdre. On imagine devenir amoureux, on n’imagine pas perdre son amour aux mains de la grande faucheuse, ou alors, quand on l’imagine, on a tellement de peine que notre cœur s’arrête de battre. On n’imagine plus ce qui vient, ce qu’on veut, hormis ce qu’on sait déjà et qui se répètera, par exemple que les fleurs s’ouvrent et se referment et que les humains sur la planète continueront de faire preuve d’indécence, d’arrogance d’inconscience et de stupidité.

Mais bientôt, je le suppose, je ne serai plus là pour s’en désoler.

Bientôt, je le suppose.

Mais aujourd’hui, je peux prendre tout et tous, aimer tout et tous. Élargir mon regard jusqu’au point le plus éloigné de l’horizon, jusqu’au-delà de ce point, jusque là où l’espace s’élargit et le temps se compte en milliards d’années. Jusqu’à ce que je disparaisse, en fait, et que mes souvenirs deviennent cette poussière dont on fait les étoiles.

J’écris cela et je n’y crois pas. C’est seulement que je voulais finir mon texte avec une idée plus large, plus légère. Mais bientôt, je suppose, je ne me sentirai plus obligée de terminer mes textes avec une pensée positive et jolie – La vie, à la fin, n’est ni positive ni jolie, elle n’est pas non plus négative et laide ; elle est ce qu’elle est, une poussée incompressible.

Bientôt, je le suppose.

Bientôt.

Sauterelle sur orchidées

Les belles et la bête

Les belles et la bête

Photo D.D.

Les astucieux

Ces gens se réconfortent à mesure qu’ils créent de l’embarras. Leur technique jette de la poudre aux yeux. Mais on peut être certains qu’ils ragent, qu’ils jalousent ceux qui disent quelque chose qui a un peu d’allure et que c’est leur façon de les punir (fichue position que celle dans laquelle on se met quand croit dur comme fer que ceux qui savent devraient être punis. C’est un assemblage de suspicion et de malhonnêteté).

C’est le jeu des dieux jaloux (les asuras). La participation à la conversation dans un groupe est impossible quand on se bat pour attirer l’attention. La vérité n’est pas imaginaire, pas une création. Elle ne surgit pas seulement parce qu’on se pense intelligent et habile. Si la pensée de la vérité vous fait peur, c’est le signe certain que vous vous y opposez. Votre énergie est toute liée à cette opposition que vous avez créée. Vous avez peur que quelqu’un d’autre ait trouvé quelque chose, ou que quelqu’un d’autre sache.

Jouer à cache-cache avec soi-même est sournois. La seule solution qu’il vous reste est, sans doute, de sortir de derrière vous-même!

Monica Hathaway, M103
Traduction de Maryse Pelletier

Les enquêteurs

Il y a des gens qui ne sont ni acteurs ni spectateurs. Ils rôdent, critiquant le statu quo. Leur seule communication généreuse consiste en grimaces et grognements. Si vous leur parlez, ils font comme s’ils ne vous entendaient pas et continuent leur important travail. Grimaçant, grognant, hurlant et rouspétant (en silence, bien sûr), ces enquêteurs ont pour message : « Vous ne comprenez donc rien ? Vous ne pouvez pas tout avoir ! Il faut en mettre de côté et en garder pour le moment où ça deviendra rare ! »
Oooh ! Saint ! Saint ! Saint !
Ne pas dépenser ! Ne pas péter ! Ne pas roter ni transpirer, ne pas se dépenser dans un sacrifice orgasmique. É-co-no-mi-ser ! TOUT économiser !
Jusqu’à quel point la vie peut-elle être ridicule ?

Monica Hathaway, M103
traduction Maryse Pelletier

Petite orchidée à rayures

Prosthechea ionophlebia ou Conchita ou Sweet shell

Prosthechea ionophlebia
ou Conchita ou Sweet shell

Elle donne envie de sourire, celle-là, non?

Ça vous mène où?

L’ambition qui naît de l’envie ou de la jalousie s’apparente à vouloir mettre ses pieds dans les souliers d’un autre et leurs pieds dans vos souliers. Il s’ensuit que vous éprouvez de la culpabilité à vous donner, ainsi qu’à quelqu’un d’autre, des ampoules, à cause du fait que vous portez des chaussures mal ajustées. C’est un état d’être et de pensée sournois qui ne peut se développer qu’à partir du commérage intérieur, lequel sert de carburant. C’est totalement lié à l’idée que si vous en aviez la chance, vous montreriez aux autres que vous pouvez faire tout ce qu’ils font, et peut-être même mieux qu’eux. Comme un chat qui s’empêche délibérément d’avoir de bonnes manières. Triste jeu. C’est aussi comme un homme qui pense qu’il pourrait marcher dans les souliers d’une femme mieux qu’elle le fait et qui, dans l’idée de le prouver, la fait trébucher pour démontrer à quel point elle est maladroite, ou la taquine en insinuant que ses souliers ne lui vont pas.

Monica Hathaway, M 103
Traduction Maryse Pelletier