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Le processus créateur : l’impulsion

L’impulsion est l’idée fondatrice,

l’envie inextinguible de cette idée de voir le jour,

le besoin,

le traumatisme,

la souffrance essentielle,

la sensation de manque,

l’obsession,

l’image essentielle vers laquelle tout le projet converge, de laquelle naît tout le projet ; elle comporte nécessairement une part d’émotion

 

L’impulsion est l’élément fondamental de toute création, quelle qu’elle soit; elle en est la matière vivante première et essentielle. Si on n’a pas de besoin, pas de blessure, pas de vision, pas de désir (personnel ou pas), rien à comprendre, rien à solutionner de toute urgence (un problème psychologique? émotif?), pas de vision de ce qui devrait arriver, de ce qui ne devrait pas arriver, ni à nous ni au monde, pas de souffrance, pas de désir de vivre mieux avec soi, les autres et le monde, pas de désir de comprendre sa souffrance, pas de désir de vivre mieux, on ne fait pas une œuvre. On n’a rien avec quoi travailler, rien qui germe, rien.

L’impulsion a sa propre nature. Elle peut comporter de la douleur, de la fantaisie, le désir d’assassiner ou de ressusciter, le désir de rédemption, le désir de destruction ou de construction, le désir de connaître, d’influencer, d’approfondir. Aussi, c’est corollaire mais indispensable, l’impulsion comporte le désir de se prolonger soi-même en tant que substance importante, de réaliser sa finalité, de finaliser sa réalité.  

Si on veut être capable de travailler avec son impulsion, d’en faire une œuvre, on doit reconnaître sa nature, sa couleur, son odeur. On doit travailler à la connaître sans la blesser, la coincer ou l’étouffer. Il faut donc la regarder et l’interroger avec douceur et insistance, l’analyser sans agressivité, l’examiner avec bienveillance.

Il y a des impulsions noires et rouge sang, d’autres, transparentes mais solides, d’autres translucides et roublardes, d’autre électriques et fugaces, d’autres qui sont des pieux profondément enfoncés dans le sol et qui se mettent à fleurir, d’autres après lesquelles il faut courir tellement elles se dérobent. Tout dépend du degré de conscience (de soi) de l’être en qui l’impulsion naît ou se dépose. Ces impulsions sont aussi variées que les êtres humains qui les ressentent, aussi innombrables que les heures de toutes les journées sur terre.

Mais une impulsion avec laquelle on peut travailler doit être puissante ; elle doit porter en elle une puissance adaptée au mode de création qu’elle commande. On peut tomber d’accord facilement sur le fait que l’écriture d’un haiku, par exemple, est générée par une puissance, une énergie adaptée à sa dimension ; idem pour un roman de 500 pages, qui aurait alors besoin d’une impulsion plus puissante et durable, fait d’un matériau plus dense et lourd –quoiqu’il y ait des auteurs-trices qui écrivent 500 pages sur une idée mince comme un papier de soie et le reste est verbiage.

Cette force première, fondatrice, je l’appelle impulsion plutôt qu’idée parce qu’elle doit contenir l’énergie dont elle a besoin pour prendre forme. Comme un germe.

L’impulsion ne peut grandir que si elle est poussée par l’ego. Il faut de l’ambition pour la propulser malgré les difficultés qu’elle génère. Parce que l’impulsion a cela d’inscrit en elle : elle commande du travail, de la recherche, de la patience, de la souffrance. Il faut vouloir en tenir compte, être mû par elle, mais aussi, il faut en accepter la présence et l’influence en soi. Un être dont l’égo serait faible ou embrouillé – il y a des êtres qui ne (re)connaissent presque rien en eux, qui se laissent porter par le courant, qui, dès le départ, ont été écrasés ou pollués – laisserait tomber cette demande intérieure pour préférer son confort – tout relatif, ça va de soi.

Il faut donc de l’ambition et du courage pour réaliser une œuvre. Parce qu’une œuvre nous expose à nous-mêmes et aux autres. Si on refuse de s’exposer, de se laisser connaître, on se ferme, on s’étrangle, on tue l’essence de l’œuvre et son existence même. Quiconque regarde une œuvre, ou lit un livre, peut avoir une certaine connaissance – au moins intuitive – de son auteur, de sa vision du monde, de sa vision de soi dans le monde, de sa vision du présent et de sa présence au monde, aux autres. Il y a toujours une dimension personnelle intime et profonde à une œuvre, et toujours, aussi, une vision sociale, communautaire, politique. L’œuvre est en quelque sorte une transformation du réel qui charrie dans son sillage une signification plus profonde, plus lourde que le réel tel qu’on le perçoit généralement; ce « réel » est alors est alors amplifié par la loupe déformante (créatrice?) de la personnalité de l’auteur, du créateur. L’ego plaque en effet sur le réel, pour fins de création d’une œuvre, une vision unique, qui le rend compréhensible, perceptible à l’entourage qui la regarde, la lit, l’écoute, prend contact avec elle, la ressent.

Il n’y a pas d’œuvre sans impulsion première, même si cette œuvre est « déformée » par l’habitude du créateur (l’écrivain qui produit son 100e livre, par exemple) ou par la maladresse due à l’inexpérience. Il n’y a pas d’œuvre sans idée ni sans l’impulsion de permettre à cette idée d’être mise dans une forme transmissible aux autres, au monde – même si cette transmission ne se produit pas, au bout du compte.

 

Impulsion, donc. Ambition. Exhibition. Amplification. Puis cristallisation d’un réel déformé par la personnalité du créateur.

 

À suivre.

Le processus créateur

Il y a l’impulsion, et il y a la matière.

Puis, la manière.

C’est tout.

 

 

Aventure matinale.

La vie est belle, le matin, un peu frais parce que nuageux, j’ai arrosé mon jardin et je reviens à la maison. Le tapis devant le sofa est un peu chiffonné, je le remets en place en tirant sur un coin avec le pied. Je sursaute, il y a un rond foncé de 2 centimètres de diamètre en plein centre de ce petit tapis, un rond trop grand et gros pour être un des élastiques avec lesquels j’attache mes cheveux ; conclusion, c’est un serpent. Un petit serpent, mais qui fait pas loin de 60 centimètres de longueur. Il n’a pas bougé quand j’ai remis le tapis en place, il n’est sans doute pas en bonne santé, que je me dis. Mais je ne l’ausculte pas.

En ne le quittant pas des yeux j’appelle : « Daniel! »

De la chambre tout à côté, il fait : « Euh? »

 « Il y a un serpent sur le tapis » je continue. Contrôlée, calme.

Il fait : « Bon! » en se tirant du lit.

Il met des chaussettes, sort, revient avec un balai, touche le serpent qui quitte le tapis, puis l’immobilise en le clouant au sol. Je retiens le serpent avec le balai pendant qu’il va chercher ce qu’il faut pour lui couper la tête et le sortir de la maison. 

Voilà, c’est fait.

Daniel 1, serpent 0!

Nous apprenons une heure plus tard, grâce à José qui vient prendre un café avec nous, que ces serpents-là dorment beaucoup. Grand bien nous fasse.

Et nous continuons à nous promener pieds nus dans la maison. C’est très rare qu’un serpent vienne dormir sur un de nos tapis. Très très rare. Plus rare que ça, ça devient un événement unique.

C’était une brève aventure matinale à notre maison costaricienne. Revenez sur ce site pour d’autres aventures époustouflantes.

 

 

Le voile

Il n’y a qu’un voile, vraiment, entre la vie et la mort. Et que sommes-nous, vraiment, nous qui voulons détourner le regard de cette fragile frontière?

Perdus dans l’immense immensité de l’univers, encore plus effroyablement immense et démesuré que ce qu’on avait pu en appréhender jusqu’à maintenant, nous sommes d’infimes miettes dont l’égo se dresse, mange, tue et détruit même son support de vie. Quelles sont donc désormais nos chances de survie à long terme sur notre planète, qui roule dans une vastitude froide en constante et inexorable évolution, mais à la vitesse de la cellule de l’éléphant qui a séché dans un désert?

Ce voile entre la vie et la mort, nous le traversons tous les jours.

Mais ni lui, ni rien d‘autre ne nous dira ce que nous sommes vraiment.

Rien.

 

Mon frère

Mon frère est mort.
Mon pied au sol. Presser. Sentir que la chair de mon pied s’écrase contre le sol sous mon poids.
Mon frère est mort.
L’autre pied. Avance. Se pose. Les feuilles mortes bruissent à peine. Elles sont déjà écrasées par d’autres pieds, d’autres poids. Il vente un peu. La peau de mon visage frémit. Le froid.
Mon frère est mort.
J’arrête. Je respire. Les deux pieds au sol. Tranquille.
Mon frère est mort, je suis vivante.
Cela ne veut presque rien dire. Je ne sais plus ce qui nous sépare l’un de l’autre, tellement son image, sa présence, sa belle gueule sont vives en moi.
Je suis vivante, puisque j’ai froid, puisque je pleure. Mon frère mort.

Qui pourrait dire la profondeur des liens qui nous unissent, nous unissaient, nous qui sommes nés des deux mêmes chairs, avons partagé la maison, les années, les conflits, les apprentissages. Nous qui avons développé puis raffermi la connaissance l’un de l’autre, la confiance l’un en l’autre. La familiarité. Le mot vient de famille. La vie. Près l’un de l’autre. Puis loin, puis près.

Mon frère est mort. Son corps, démoli. Son visage, blanc.

Mon pied devant moi. J’avance. Je sens le sol, ses feuilles qui bruissent, mouillées, le froid sur mon visage, mouillé.

Mon frère est mort et j’avance. J’avance.

Mon corps et moi

De plus en plus je fais la différence entre cette entité que je nomme « moi » et mon corps. Bien sûr (pour ce que nous en savons en tout cas), je/moi n’existerais pas sans mon corps. Mais si, auparavant, j’avais tendance m’identifier avec la fille que j’habillais, coiffais, promenais par les chemins aventureux et dont j’étais, ma foi, assez fière, j’ai tendance maintenant à me détacher de mon enveloppe. Non pas à vouloir la quitter, mais à m’en distancer.

Ainsi, je regarde. Ah, voici les articulations qui fonctionnent avec moins de fluidité. Voici les mains qui s’engourdissent plus facilement. Voici que mon corps a froid plus facilement. Voici que je ne peux plus rester assise des heures sans avoir mal en me relevant. Voici, voici, voici…

Je regarde l’usure qui va doucement son petit train, et c’est intéressant. Ça me ramène à l’essentiel, l’impermanence. Et j’ai souvent une envie (fugace, nécessairement) de savourer cet essentiel.

Une vieille dame et son journal

Il y a, oh, très longtemps, j’ai lu une pièce, de Giraudoux, je crois – que Dieu ait son âme et la garde, il était mauvais dramaturge – dans laquelle une vieille dame enjoignait à un jeune homme désespéré de lire un article de journal, toujours le même – elle lui tendait d’ailleurs un journal élimé à plusieurs reprises durant la pièce – parce qu’il contenait une bonne nouvelle. « Lisez ça tous les jours, qu’elle disait, en substance. Il faut nourrir son esprit avec de la joie! »

J’avais trouvé ça très … euh, particulier. Pourquoi proposer à un jeune homme éperdu de chagrin de s’accrocher à une toute petite nouvelle positive ? Pourquoi l’encourager à refuser le désespoir, la peine, la douleur ? C’est notre lot d’êtres humains, non? Je ne comprenais pas, moi qui avais fait le choix de la lucidité et du réalisme – du moins je le croyais.

Eh bien, aujourd’hui, quand je me vois revisionner des séries télé que j’ai aimées, je me sens comme cette vieille femme. Le malheur, l’absence, la douleur, on n’a pas besoin de les chercher, ils nous poursuivent comme une meute de chiens affamés. Une petite émission réjouissante, ça a son effet, à la longue. Ça permet d’enligner des jours tout à fait corrects en termes d’émotion. Je suppose que ça remplace, un peu mais pas beaucoup, le fait d’avoir un enfant à la maison – parce qu’un enfant, c’est joyeux – mais ça, c’est un tout autre sujet, non?

Étrange réalité

Étrange réalité que celle où des êtres à deux pattes, seuls vivants (soi-disant) conscients d’eux-mêmes dans un désert abyssal et inhospitalier de milliards d’années-lumière de cailloux et de feu, se lancent des bombes à la tête pour un petit bout de terrain, un brin d’herbe, un bout de tissu, un arbre mal placé et cela, à cause de dieux qu’ils ont créé de toutes pièces pour se donner une raison d’être. C’est avéré, leur insignifiante nature les porte à se battre, se torturer les uns les autres, se quereller et, pour cela, détruire même ce qui leur permet d’être en vie.

Désolation.

 

Dernière danse

Les feuilles des arbres dansent dans le vent avant de s’écraser et de mourir. 

J’aimerais bien pouvoir faire la même chose, quand le moment sera venu, et sentir sur mon corps le vent qui me pousse dans la direction qu’il veut. 

Dernière danse en tout abandon. 

Coiffure

Un voisin fait les foins

et l’autre, son gazon

C’est coupé de partout

sauf chez moi

où l’herbe se déploie

touffe de poils hirsute

et comme oubliée

sur tête bien rasée