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Et hop!

Ma sœur m’appelle, me dit ce que fait mon frère aîné, celui qui vit tout près d’elle; elle me parle de l’état de santé de ce frère drôle, doux, bon communicateur. Puis, le lendemain, je l’appelle et lui raconte que le frère près duquel je vis, moi, m’a engueulée. Ce frère-là a beaucoup travaillé dans sa vie, mais jamais dans une organisation, jamais pour quelqu’un, jamais dans une entreprise. Avec le temps, il est devenu solitaire, entêté et digne (généralement) et je ne cesse pas de vouloir l’aider. De notre troisième frère dont nous sommes toutes les deux éloignées par l’espace mais non pas par le cœur, nous n’avons que de belles choses à raconter, et souhaitons qu’il travaille moins. C’est un artiste, créateur, organisé, amoureux de l’histoire de son coin de pays, qu’il a racontée de multiples façons. Et je lui parle également de notre autre sœur, que je vois moins, mais qui va très bien parce qu’elle a un nouvel amoureux. Et tout cela m’intéresse.

Mon intérêt n’est pas nouveau, remarquez, mais il est augmenté. On dirait que j’ai désormais le temps (et la capacité?) de m’intéresser aux autres sous toutes leurs coutures. Que je prends le temps de recevoir en plein cœur ce qui leur arrive à tous. Je sais maintenant que je ne peux changer ni leur santé, ni leur état d’esprit, ni leurs tics, manies, drôleries et habitudes, et je suppose qu’ils ont compris qu’ils ne peuvent rien changer de moi, même ce qui les agace. La magie c’est que, pour la plupart d’entre nous, on passe par-dessus ces irritations en sautant lestement – et hop! – pour choisir d’aimer ce qui est aimable en chacun d’entre nous et, ma foi, il y a de quoi aimer pour encore un bon moment. Et plus.

La danse d’Hélène

Je n’allais pas bien du tout. Ce n’était pas physique, mais mental, émotif. J’étais confuse, enragée, je me sentais coupable, frustrée, indécise (ben oui!) et mon médecin pratiquant, généraliste, homéopathe et un peu psychothérapeute, m’avait recommandé d’assister à une fin de semaine qu’il avait organisée, laquelle était destinée à expérimenter les liens entre personnes. J’avais dit oui sans enthousiasme, mais il fallait bien que je me soigne d’une façon ou d’une autre, je ne voulais pas mourir de rage et il fallait que je puisse continuer à gagner ma vie, à avoir des idées drôles pour les émissions pour enfants que j’écrivais. J’y réussissais encore, mais je me demandais sérieusement quand mes réserves de légèreté allaient s’épuiser. 

J’étais donc présente à une de ces rencontres ; elle a duré 2 jours et elle rassemblait une vingtaine de participants, sans doute aussi amochés que moi.  Je me tenais en retrait, je jugeais difficiles et exigeants les exercices qui avaient précédé. J’étais à vif, je regardais tout le monde avec méfiance, défiance. Osez donc m’approcher, que mon attitude disait sans doute.

Puis il y eut cet exercice.

Nous étions rassemblés en groupe de 6 ou 7 personnes. Il s’agissait que l’un ou l’une d’entre nous s’installe au centre de notre groupe et, sur la musique improvisée d’un pianiste présent parmi nous, nous devions apporter à cette personne centrale tout le support émotif que nous pouvions, pour l’aider à danser, à se mouvoir, à s’exprimer sur la musique.

C’est une jolie femme qui s’était mise au centre, elle avait la jeune trentaine. Elle avait l’air parfaitement normale – moi aussi, d’ailleurs, remarquez! Je ne me suis pas demandé pourquoi elle était là ni quel était son état, tenant pour acquis qu’elle était en état de souffrance, comme tout le monde autour.

Il m’est resté un souvenir impérissable de cette danse que nous avons improvisée avec elle. À certains moments, elle menaçait de s’écrouler, de chagrin ou d’une souffrance qu’elle assumait, puis, tirant parti de notre présence au moment présent, elle se relevait et recommençait à danser avec grâce – la grâce, en fait, est une énergie faite de douceur et d’harmonie, plus qu’une élégance de geste – puis faiblissait encore, mais revenait à nous pour recevoir. Généreuse, ouverte, humble et bienveillante, telle était son attitude avec nous, ses camarades en énergie. Elle faisait penser à une flamme vacillante, émouvante, qui menaçait sans arrêt de s’éteindre, mais qui recommençait à briller malgré tout, avec courage, avec détermination. J’ai aimé cette jeune femme de s’être prêtée à notre danse commune, d’avoir été vulnérable avec nous, d’avoir accepté notre attention, nos gestes d’aide, notre amour, exprimés par des caresses dans l’espace.

J’ai su plus tard qu’elle s’appelait Hélène.

On était à la fin des années 80. C’était l’époque durant laquelle le SIDA venait d’apparaître, on savait à peine comment la maladie se contractait, l’ignorance de la communauté médicale à son sujet était quasi totale et on donnait aux hémophiles du sang contaminé ; c’est ainsi que, par son conjoint, Hélène avait contracté la maladie.

Elle est morte quelques mois plus tard. On m’a dit, et je n’en doute pas, qu’elle est restée digne, généreuse, chaleureuse jusqu’à son dernier souffle.

Le destin est une cruelle loterie. Mais depuis, quand je pense à ma propre mort, je remercie Hélène d’avoir dansé tour à tour sa vie et sa mort ce jour-là, et me souhaite d’avoir, comme elle, la générosité partager avec mes frères humains, animaux et végétaux, une danse célébrant en joie et en chagrin la vie qui m’a été donnée, et ce, jusqu’à la fin.

Double constat

Ma mémoire, ces années-ci, est un peu comme les tomates que je cueille (en cet automne qui suit un été pluvieux) : pleine de trous.

 

C’est une journée à ne rien faire

C’est une journée à ne rien faire tellement il fait chaud. On aurait dû le dire à ces gars qui, dans le boisé de l’autre côté de la route, jouent de la tronçonneuse comme si c’était un orgue désaccordé, et nous agressent tellement les oreilles qu’elles en transpirent. Mais ce n’est peut-être pas seulement le son qui les fait transpirer.

C’est une journée à ne rien faire. Il aurait fallu le dire aux scarabées japonais; mais je crois qu’ils ont des panneaux solaires sur leur dos qui, comme on le sait, brille mais n’est pas or, et que ça leur donne l’énergie nécessaire pour copuler en groupe sur des feuilles déjà réduites à l’état de squelettes.

C’est une journée à ne rien faire, il y a danger de fondre devant la télé à cause de la chaleur dégagée par l’écran.

C’est une journée à ne rien faire, même pas écrire, j’aurais dû attendre après 16 heures, mes idées seraient moins dolentes, moins molles.

C’est une journée à ne rien faire. Rien faire. Rien.

Rien.

Régler un problème à la fois

Depuis que les histoires existent et sont racontées au coin des feux (il faudrait nuancer beaucoup ici, mais, bon, je n’ai pas le temps ni les connaissances pour le faire), elles se terminent par : Ils se marièrent, ils vécurent heureux et ils eurent de nombreux enfants. Comme si le fait d’avoir une ribambelle d’enfants était synonyme de bonheur. Pas étonnant, par conséquent, qu’on ait un problème de surpopulation sur la planète. 

Pour remédier à ce grave problème, je propose que, désormais, on termine les contes par cette phrase-ci : ils se marièrent et ils sont heureux depuis. 

Cela dit, je suis certain que quelqu’un, un jour, soulignera, à juste titre, que le mariage n’est pas synonyme ni garantie de félicité humaine. On laisse venir ce quelqu’un, d’accord?  On en discutera à ce moment-là. On ne peut pas tout régler en un seul jour.

 

Brume

Ce matin, il y a tellement de brume que la planète Terre est toute petite. Elle s’arrête au ruisseau, lieu de toutes les ombres dangereuses, de toute l’eau qui coule au monde. Et il n’y a qu’un oiseau qui l’habite, celui qui se perche sur l’arbre mort.

Je me demande de quelle façon réagissaient les hommes primitifs quand ils se voyaient ainsi coupés brutalement de leurs terrains de chasse. Les plus courageux entraient dans la brume, sans doute, et en revenaient avec des histoires.

C’est donc ça!

Je suis assise, depuis une demi-heure, peut-être. J’ai l’impulsion de me lever. Rapide, cette impulsion, vive, naturelle, fluide. Je pose le pied au sol, décolle mes fesses de la chaise.

Une hésitation des genoux. Une autre de la hanche, d’un côté et de l’autre. Une seconde seulement, puis tout se replace, se met en branle, pour que je m’éloigne de la chaise : le genou se raffermit, la hanche se déplie totalement, mon corps retrouve l’équilibre de la position debout. Ensuite, j’allonge le torse – je ne veux pas courber le dos. Voilà, je suis droit debout. Je respire, étonnée de cette longue seconde qu’il a fallu à mon corps pour suivre mon impulsion.

C’est donc ça, vieillir. Cette seconde-là.

 

 

L’esprit fantasque

J’écoute, je réécoute, devrais-je écrire, une série télévisuelle chinoise. Il y a un démon (beau comme un… dieu) qui a de super pouvoirs (notamment la capacité de générer du feu… bleu) pour anéantir ses ennemis, qui vient d’être libéré d’un emprisonnement de 30 000 ans (ben oui!) par Orchidée, une fée de classe même pas moyenne (il y a des classes sociales même chez les fées!). Ce démon puissant (et beau, je l’ai dit?) se retrouve lié à Orchidée (jolie, pouvoirs limités, mais pas idiote) par un sort qui l’oblige à ressentir tout ce qu’elle a comme émotions, et elle en a beaucoup — elle est même un peu boudeuse et pleure facilement. Je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher votre plaisir. Et puis parce que ce n’est pas là que je veux en venir.

J’adore ce type de série.

Ben oui.

Quand ça commence, je trouve ça assez convenu, même assez nono, puis je regarde les costumes (beaux ça se peut presque pas, mais comment font les acteurs pour se battre avec des manches qui traînent à terre?), les décors (il y a beaucoup de surimpression, sinon personne n’aurait les moyens de construire des décors d’un tel faste, on se retrouve au royaume du ciel, imaginez avec un trône en or et une chute d’eau vertigineuse en fond d’écran!), les enjeux (toujours élevés — par exemple, il ne la tue pas malgré qu’il en ait envie, sinon il se tuerait lui-même), les péripéties (tiens, il y a un nouveau dieu qui se montre la dégaine, que vient-il faire là, lui?) la construction dramatique (il y a des prophéties à tous les coins de rue) et je m’amuse.

Notre esprit est vraiment fantasque. Il cherche à s’échapper de la condition bassement humaine à laquelle il est astreint, grâce à laquelle il peut exister, mais il n’y réussit pas vraiment. Ces dieux-là vivent des milliers d’années et pourtant ils peuvent être tués dans des guerres, et alors il y a toujours quelqu’un qui cherche à les faire renaître. Cependant, ils aiment d’un amour interdit (ça vous rappelle quelque chose?) ou ils pleurent une mère assassinée (et ici?) ou ils cherchent à se venger de ceux qui les ont méprisés dès leur naissance (ma foi, pourquoi pas?).  

Fantasque, et convenu, l’esprit. Et sa capacité à imaginer, de même.

Les mêmes vieilles recettes se racontent dans des décors littéralement impossibles, avec des personnages improbables, mais si près de nous, si près. Ou si près des histoires de notre enfance et de notre littérature, si près de notre propre imagination fantasque — qui n’a pas rêvé d’anéantir ses ennemis par le feu, dans un mouvement de colère. Moi, en tout cas, j’ai déjà imaginé que je tuais quelqu’un avec un pistolet. Ben oui.

Bon. 

Trêve de confidences, je continue à réécouter la série chinoise. Ça vaudra mieux que de laisser mon esprit fantasmer sur ce qui aurait pu arriver si je l’avais fait.

Alors, le beau démon, soudain, à la faveur d’un baiser involontaire, se retrouve dans le corps de la fée, et vice-versa… Ça promet.

L’effet papillon

Et on est là, dans ce paysage magnifique, près de cette jolie maison entourée de fleurs, et il fait si beau qu’on en pleurerait, on boit du bon vin et on mange bien, des produits de l’été d’ici, des légumes à foison, des viandes grillées, avec un dessert savoureux, délicat, et on est bien, mais on ne va pas bien. On a mal partout sans que ça se voie.

Mal à l’Ukraine et aux Ukrainiens, mal aux gens du Myanmar, aux Nord-Coréens, aux Ouigours, aux soldats russes qu’on envoie mourir par milliers sur un champ de bataille honteux, mal aux réfugiés rejetés qui meurent en Méditerranée, mal partout. Mais ça ne paraît pas. Ça ne se voit pas. On n’est ni blessés, ni pauvres, ni affamés. On a septante ans et plus, on y réfléchit à deux fois avant de monter un escalier, on a plus chaud, ou plus froid, on restreint nos activités, tout doucement… Que faire contre ce mal immense, à part donner de l’argent, quand on en a?

L’effet papillon, il paraît que c’est réel. Que c’est vrai que le battement de l’aile d’un papillon se rend jusqu’à l’infini de l’espace, ou presque. Ainsi, un souffle de notre poitrine créerait d’infimes ondes dans l’air et nous reviendrait à un moment donné – mais nous n’en aurions pas conscience, bien sûr. Chaque fois que nous respirons, notre souffle se prolongerait jusqu’aux Pôles, jusqu’à la forêt amazonienne, jusqu’en Patagonie, jusqu’à la Chine, le Tibet occupé, le Yémen asséché…

Si un geste de pardon, une insulte non proférée, une colère maîtrisée, une pensée aimante, une indignation juste pouvaient, elles aussi, avoir un effet papillon, si un geste d’amour, plusieurs gestes d’écoute, des milliards de souhaits ou de prières – si vous préférez ce mot – si tout cela pouvait avoir un effet papillon… Si seulement.

Mais alors, il faudrait bien reconnaître que la haine, la détestation, la violence en auraient un aussi. Tous ces effets papillon se croiseraient en s’entrechoquant, s’affrontant comme les vagues d’une mer en furie autour de nous, en nous, et nous serions ballottés, traversés par ce chaos ambiant, cet inextinguible et éternel chaos. 

C’est peut-être ce chaos qui fait que, malgré qu’on apprécie pleinement le paysage fleuri devant lequel on s’assoit, on ressente un malais profond indicible et constant, qui nous empêche de trouver une paix réelle. 

Mais qui, quelle que soit sa situation, avec ou sans effet papillon, peut trouver une paix réelle, en ce moment?

Question de doigté

J’étais assise et je regardais mes orteils – me demandant d’ailleurs pourquoi je les regardais. C’est que j’étais penchée, le corps replié sur moi-même, voyez-vous. Pourquoi y en a-t-il 5, me disais-je. Parce qu’il y a 5 doigts? Raison insuffisante. Pour l’équilibre? Autre raison non probante : plusieurs animaux ont moins que 5 doigts et se tiennent parfaitement en équilibre, sur des flancs rocheux, par exemple. Pourquoi pas 6? Et pourquoi pas trois, comme les marionnettes?

Puis, je pensai au fait que le double de gens, depuis quelques mois, a besoin des banques alimentaires pour se nourrir. Celles-là, contrairement aux banques normales, se dégarnissent plus vite qu’elles se garnissent et ne donnent aucun intérêt, parce qu’elles n’ont aucun actionnaire – il n’y a pas d’actionnaires qui investissent sur la pauvreté, ce serait un contresens. Et pourtant, s’il y avait des investissements bancaires qui visaient une meilleure répartition sociale, plus d’égalité et moins de profits pour le petit nombre, toute la société, y compris les actionnaires des banques (non alimentaires) y gagneraient.

Je me suis relevée, je ne regardais plus mes doigts de pied depuis longtemps (en termes de secondes) et je suis retournée manger mon dessert. Bien copieux, en me rappelant que je dis toujours à mon chum d’acheter moins parce que nos congélateurs sont déjà remplis à satiété.  

Pourquoi avons-nous 5 doigts? En tout cas, pour tenir une fourchette, c’est très utile.