Category Archives: Poésie

Temps doux

Le temps s’étale, mort

Il ne respire plus

ne bouge plus

n’entreprend plus rien

s’allonge

déprimé

défait

démoli

 

Mon temps perdu

tombé dans les interstices

égaré au fond de ma tête

de mes envies

 

ne plus se soulever

ne plus marcher

rester là

inquiète

sans souffle

sans envie

défaite

troublée

empruntée

perdue

 

Il a encore neigé

c’est trop

il faut rester là

attendre que ça fonde

attendre que le temps change

qu’il se relève

qu’il bouge

qu’il sursaute

et tressaille

refait

rajeuni

régénéré

 

Attendre

et pendant ce temps là

il passe

tout doux

tout doux

 

 

Poème triangulaire

Trois gros lapins
sur une planche
panse rougie
oreilles blanches

Trois camélias
rouge écrasé
recroquevillés
par le frimas

Trois petits sauts
dans l’inconnu
dans l’absolu
cahin caha

Trois petits pas
vers l’au-delà
je lève le doigt
et m‘y voilà

Il pleut bergère

Il pleut il pleut bergère
Mets donc ton capuchon
Il pleut bergère
Sèche tes lamas blonds
Il pleut il pleut il pleut
Tu n’as plus de moutons
Tes champs font le dos rond
Tes pieds sont embourbés
Et ton avenir fond

Il pleut il pleut bergère
Reste dans ta maison
Il y a trop d’eau dehors
Les rues font des rebonds
Les sources, des crevaisons
Tu n’as plus ni moissons
Ni blé ni lamas blonds
Ils ont dégringolé
Dans des vides profonds

Tu pleures tu pleures bergère
Tes larmes sont de plomb
Le ciel s’est écrasé
Sur ta tête sous tes pieds
Il ira s’engouffrer
En traînantes goulées
Dans des canaux obscurs
Dans des mers insondables
Dans un temps qui se rompt

Souffle

Nuit
Son souffle tranquille
Sa chaleur qui se rend à moi
Les millions d’étoiles au ciel, que je vois par la fenêtre
Un instant de bonheur suspendu
Confiance en l’univers
Brièvement
Confiance en lui
La nuit durant

Ce matin, la brume

Ce matin, dans la brume,
la montagne n’existait plus,
s’il faut en croire ce philosophe
selon qui
ce qu’on ne voit pas n’existe pas.
Et le sexe des anges, lui,
existe-t-il?
Ce matin,
il était peut-être sous la montagne
qui n’existait plus.

C’est mêlant, la philo
ça fait une sorte de brume
dans la tête
qui, dès lors, n’existe plus.
Qui donc alors écrit ce que j’écris,
pense ce que je pense?
J’arrête.
Trop de questions sans réponses
Trop d’angoisses pour un matin de brume
Mais l’angoisse, qu’on ne voit pas,
existe-t-elle?

Toi ma mort

Toi ma mort viens par là
regarde-moi
mieux que ça
tu m’entends
et prends-moi la main
on fera un bout
que je te connaisse
que je t’apprivoise
viens avance
grouille
fais une femme de toi
peureuse
mangeuse
dangereuse
avance et prends-moi la main
comme ça
oui
on y va
doucement
j’aurais dû le savoir
que tu bouscules tout
on ne se refait pas
surtout toi
une fois démarrée tu cours tu cours
suffit de te connaître
et c’est ce que je veux
justement
te connaître
toi ma mort
qui cours autant que moi

Ça va pas mais ça va

Ça va pas mais ça va.

Ça va pas mais on fait aller on n’a pas le choix.

Ça va pas il meurt dans mes bras mon amour pas né mais je fais aller
qu’est-ce que je peux faire d’autre.

Ça va pas j’en aurai jamais plus d’amour naissant entre mes bras qui gazouille et qui câline et qui tremble un peu et qui fait Moui, ma et ma,
qu’est-ce que j’y peux.

Ça va pas je tremble de partout comme si je l’avais cet amour-là entre les bras comme si je le caressais sur mon sein je tremble comme une femme enceinte de tout l’amour du monde qu’elle peut porter dans ses bras
mais qu’est-ce que j’y peux.

Ça va pas j’allonge mon âme et toutes mes auras successives et mes arcs-en-ciel vers un point de chaleur qui s’éloigne qui bondit si loin de moi si loin que je n’en verrai plus la trace dans trois secondes que je n’en sentirai plus que l’absence dans deux et que je voudrai avoir oublié jusqu’à son existence dans une et même là l’oubli n’arrive pas
qu’est-ce que j’y peux.

Mais ça va.

Mon âme mes auras combien de temps encore aller vous essayer de vous lancer dans l’au-delà de vous, combien de temps encore allez-vous déployer votre lumière vers l’invisible
combien de temps.

Allez-y continuez s’il vous plaît je vous ai déjà libérés ne venez plus vers moi je n’ai plus de place déployez-vous dans l’univers qu’au moins une parcelle de vous rejoigne quelque chose de chaud quelque part et l’illumine

Allez, continuez.
Allez.

Mon âme ma chaleur mon amour naissant mourant profitez à d’autres je vous en prie
c’est le mieux que vous puissiez faire.

À par ça, moi, ça va.

Ça va pas mais ça va.

Moi.

Attendre

Parce qu’attendre debout
parce qu’attendre assis
parce qu’attendre n’importe où l’on soit
est la racine de la mélancolie et du désespoir
j’ai décidé de foutre le camp
d’arriver en temps
n’importe comment
n’importe quand

Auberge du Faubourg
août 1965

retrouvé dans des papiers jamais classés

Mai

Le ciel est rose
et vert bleu gris
le ciel est plein
cacophonie

la clé du monde
est imprimée
dans un nuage
désagrégé

une seconde
impénitente
est disparue
oh la folie

le temps passé
est déplié
est retenu
aux quatre coins

le temps devant
est enroulé
dans un nuage
qui vire au vent

Mai 2011

Quoi d’autre

Filtrer l’huile
laver la casserole
nettoyer le comptoir
sentir ses pieds au chaud
oui
mais la vie, la vie

Changer les draps
ouvrir la porte
balayer l’entrée
soulever la poussière
dans la lumière
oui
mais la vie, la vie

Descendre l’escalier
marcher au coin de la rue
sortir sa monnaie
acheter du fromage
un journal trois bières
revenir tête baissée
en pensant à autre chose
oui
mais la vie, la vie

Regarder ses doigts
penser aux gens qui rient
se douchent
s’embrassent
se querellent
ou courent à perdre haleine
regarder ses doigts encore
essayer de toucher
l’indicible l’invisible
le discret le serein
l’énergie pleine et vide
oui
et la vie la vie.