Le vieil homme

Il vieillit encore, le vieil homme.

II n’a plus faim. Il n’a plus soif de café, de jus, de coca-cola, de bière, de vin, de cognac ni d’eau.

Il n’a aucune soif, sauf celle de parler avec des amis, d’être avec des amis. Mais cette soif-là est immense, insatiable. Avant l’arrivée des amis, il est couché. Quand les amis sont là, il est assis et il mange. Un peu. Et il a de l’humour et il rigole. Et il me fait rire.

Il parle de ce qui se passe en lui, de cette nouvelle étape de sa vie.

Cette présente étape, qui survient à la suite de toutes les autres : celle où il était dans l’armée, celle où il a vécu en Méditerranée pendant six mois sur un bateau, celle où il a appris, celle où il a construit, celle où il a enseigné, celle où il s’est marié, a divorcé, s’est remis en couple deux fois puis s’est séparé. Et celle où sa dernière compagne, avec qui il partageait un quotidien léger, léger, doux, tendre, respectueux, admiratif, est morte.

Il parle de cette étape qu’il vit, durant laquelle les gens au téléphone sont surpris qu’il soit si vieux, étant donné son timbre de voix, si jeune, durant laquelle il regarde ses amis faire son marché pendant que lui boîte d’un comptoir à un autre, ou les attend derrière le volant de sa voiture.

L’étape durant laquelle il regarde les jours naître et disparaître sans pouvoir faire ce qu’il aimait, sauf regarder les jours passer. Durant laquelle il regarde son corps se flétrir, ses intérêts et ses capacités s’amenuiser ; l’étape durant laquelle il réparerait encore tout ce qui cloche, depuis le bouton de la cuisinière jusqu’au moteur du bulldozer, si seulement il pouvait se tenir debout, s’il avait la force de marcher sans canne.

Il vieillit encore, ce vieil homme. Mon ami.

Que j’écoute avec attention, parce que ce qu’il dit est remarquable d’intelligence, de fine observation, d’humour gentil, d’amour sans faille pour le genre humain qui crée ses drames quotidiens avec la régularité d’une horloge millénaire. Le vieil homme qui, à sa façon douce et simple, continue à regarder nos vies avec intérêt, humour et calme.

Ce vieil homme, mon ami, qui vieillit encore.

2 thoughts on “Le vieil homme

  1. Lorraine dit :

    Chère Maryse , ton texte m’a rappelé mon père, sa sagesse, sa clairvoyance, sa tendresse,sa compréhension.
    Merci énormément

  2. Daniel D dit :

    Nice

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