Se réveiller par un matin clair, un ciel tout bleu, et écouter le chant des oiseaux qui se répondent d’une branche à l’autre, d’un arbre à l’autre, d’un champ à l’autre ;
Se réveiller déjà lasse, lourde de tout le travail à faire durant la journée ;
Se réveiller à moitié, ne pas savoir où on est durant au moins une seconde angoissante, avoir un peu mal au cœur, puis se dire qu’il faut être courageuse et s’extirper du sommeil, arriver tout à fait au jour pour affronter ce qui s’y passe – la situation, le gouffre -, ouvrir finalement l’œil, résignée, et soupçonner sans preuve que la couche superficielle de notre conscience qui se cache encore derrière un voile translucide peinturluré n’était que le reste d’un rêve désagréable ;
Se réveiller dans le silence le plus total, constater qu’il neige dehors, et comprendre que ce silence n’est que le bruit infiniment délicat du temps qui passe, flocon après flocon, dans la fenêtre ;
Se réveiller, avoir envie de pleurer comme quand on s’est endormie, regretter que le sommeil n’ait été qu’un moment de répit et que le chagrin qui vous courbe les épaules vous ait agrippée à nouveau pour ne plus vous lâcher jusqu’à la nuit qui viendra tard, très tard ;
Se réveiller légère, se demander quel est le programme aujourd’hui, constater qu’il faut d’abord aller voir les fleurs et les tomates – il y a de ces urgences, dans la vie – et se lever d’un bond ;
Se réveiller en retard, le souffle court, se rappeler qu’on avait compté sur quelques petites minutes avant le café pris en vitesse sans déjeuner pour corriger le texte qu’on avait laissé de côté à cause de la fatigue hier soir, paniquer raide parce qu’on n’aura pas le temps de le revoir, le satané texte, avant d’arriver à la réunion pour laquelle on sera sans doute en retard à cause du trafic, se presser de s’habiller, mais de travers, avec des couleurs qui jurent, se dire que, ce soir, on va décider à l’avance quoi porter demain, que ce sera un sujet de préoccupation en moins, parce que, justement, quand on est pressée et donc angoissée, on ne sait plus décider quoi porter, immobilisée devant sa garde-robe, notre insécurité se jetant là-dessus, le choix des vêtements, comme si ça pouvait changer quelque chose à notre sort total, au sort du monde, en fait, dans lequel on n’est qu’un minuscule rouage, qui grince, qui grince ce matin parce que, et se forcer à passer à autre chose parce que temps s’abrège mais ne pas totalement y réussir, même en passant le pas de sa porte, clef de voiture en main, pour se précipiter dans l’habitacle glacé, comme le bras de vitesse qu’on met en première, sans gants parce qu’on les a oubliés, mais peut-être qu’ils sont dans la poche de notre manteau, à voir quand on aura démarré, et puis, et puis, mais ce n’est plus le matin, c’est déjà l’avant-midi et il faut se calmer parce que malgré tout cela on veut arriver en vie à la foutue réunion qui commencera sans doute en retard elle aussi parce que, ma foi, est-ce que la vie n’est pas en retard, dans notre vie? Esquisser un sourire vague à cette question absurde, comment la vie peut-elle être en retard, franchement, c’est nous qui sommes en retard sur elle, non, sur ce que nous avons décidé, dans notre … heu, folie? Agressivité? Efficacité? Et le trafic nous rattrape, ou plutôt nous rattrapons le trafic et il faut désormais être attentive, attentive, attentive, sinon c’est mettre sa vie en danger, mais on a beau être pressée et énervée, ce n’est pas assez, vraiment, vraiment, pour mourir là, dans une voiture encore froide et humide, sur une route à peine déneigée, heureusement qu’on a de bons pneus d’hiver sinon ;
Se réveiller doucement, rester au lit quelque temps, se rouler dans les images qu’on a rapportées de son subconscient à travers le rêve, il y avait un champ rouge et des chevaux marron, puis des voitures qui montaient des côtes tellement abruptes qu’elles finissaient par tourner sur elles-mêmes comme d’épaisses crêpes de fer et redescendre au bas de la côte, à leur point de départ, se demander ce que ça dit de notre caractère, de nous, mais comment se fait-il qu’on cherche encore à se connaître malgré les 70 ans de fréquentation de son égo, de sa personne, de son être, puis soupirer, et replonger, sans réponse, dans les draps en clignant des yeux ;
Se réveiller avec un mal de tête, derrière le front, oui, qui va jusqu’à l’arête du nez, et se demander ce qu’on a fait la veille pour se mériter ça, rien, et voilà qu’on a aussi un peu mal au cou, aux épaules, et se rappeler qu’on a désherbé à coups de pioche quelques mètres carrés de végétation la veille ;
Se réveiller avec la conscience que la vie est éphémère, que nos jours sont comptés, et apprécier l’odeur des draps propres, la lumière qui fait un peu mal aux yeux et se dire que, tant que ça durera, ce sera extraordinaire, la vie ;
Se réveiller avec l’envie d’ouvrir grand portes et fenêtres même s’il pleut et s’il vente, parce qu’on n’en peut plus d’être enfermée dans la prison de son … esprit, sentir l’odeur du foin coupé et de l’herbe mouillée et avoir envie de les rapporter au lit ;
Se réveiller doucement, avec la conscience de respirer, s’émerveiller du travail de ses poumons, de toutes et chacune de leurs alvéoles qui filtrent l’air (le sang?) pour nettoyer nos cellules sanguines, visualiser chacune de ces alvéoles, l’infiniment petit de ce travail gigantesque, sauter à l’infiniment grand et gros, d’une cellule de poumon à un dinosaure, un diplodocus, tiens, se demander laquelle des cellules ne notre corps peut provenir en droite ligne d’un diplodocus – parce que rien ne se perd, rien ne se crée et que tout se transforme n’est-ce pas – saluer au passage la beauté, la grâce, l’élégance et l’intelligence des dauphins et des baleines, se dire qu’il faudrait bien faire un peu d’exercice pour ne pas continuer à prendre du poids, et rester bien au chaud sous l’édredon ;
Se réveiller, se réveiller, encore, encore, encore…
(à suivre, peut-être)