On ne se rend pas compte, trompés qu’on est par une vision erronée de nous-mêmes, à quel point nos corps sont fragiles. Touchez la chair. Oui, touchez. Tout compte fait, même si vous êtes musclé, c’est mou, la chair. Nos corps sont un assemblage de dur et de mou, l’un soutenant l’autre, et cet autre permettant à notre squelette de bouger. Et le dur, l’ossature, n‘est pas si dur que ça. Vous vous mettez le pied dans un trou inattendu et votre cheville craque, se casse, se brise, votre genou se tord et il vous faut des semaines pour vous en remettre. On a vu plus résistant, non?
Accidents de voiture, bombes qui explosent, ouragans qui lancent des volets, des toits et des branches au vent, tout cela nous brise, nous charcute, nous lacère, nous taillade, nous laboure, nous hache irrémédiablement. Nos corps sont écrasés par ce qui est plus solide, plus rapide, plus ferme, plus ferreux.
À l’inverse, il y a aussi plus mou. L’herbe qu’on écrase, la mouche qu’on tape, l’abeille qu’on chasse, l’escargot qu’on broie sous le pied, le poisson qu’on sectionne, le cochon qu’on égorge.
Ainsi, nous vivons entre ce que nous écrasons et ce qui nous écrase, avec, généralement, un égo qui se pense plus grand, plus fort, plus solide, plus résistant que ce qu’il est en réalité. Entre ce qui est susceptible de nous écraser et ce que nous écrasons, il n’y a aucune place pour la vanité, la superbe et la fanfaronnade.
Il faut juste occuper sa place, sa juste place. Rien de plus, rien de moins. Ça aidera à nous garder en vie.