Monthly Archives: octobre 2021

Énumération

Il y en a qui écrivent comme on remonte à force de bras l’eau d’un puits, avec effort, acharnement, entêtement, espoir
Il y en a qui écrivent comme on rejette son eau trouble dans une source claire
D’autres qui écrivent sans savoir que les mots sont des lames aiguës, aiguisées, et qui tournent le dos quand les couteaux ont frappé
Il y en a qui écrivent en roulant des épaules, convaincus qu’ils flottent au-dessus des épinettes de nos têtes
Il y en a qui écrivent comme on se gargarise, ça renâcle, ça crachote, ça toussote mais ça ne sert à rien
Il y en a qui écrivent comme on cueille une goutte de rosée un matin d’automne froid, avec parcimonie, en frissonnant, avec respect pour la promesse d’un jour nouveau, d’une eau nouvelle
Il y en a qui écrivent comme on descend un fleuve, avec rapides, boues, tourbillons et bouillons d’écume
D’autres qui écrivent comme on tend une main ouverte, paume offerte, au vent qui passe
D’autres, enfin, qui déambulent à travers les mots, les assemblant en une courtepointe bigarrée
Il y en a, il y en a
Il y en a
Et il y a moi
Et mon goût de terre
De sillons
De semences
De soins
Qui, comme plusieurs, veut servir
Qui quoi quand comment
Rien, tout. Vous.
Tout ce qui vit, souffre, entend, sent, pense, agit et réagit
Tous les univers visibles et invisibles de nos âmes dans la tourmente, le froid, l’illusion, le vide et le plein.

Opéra insupportable

Je cherche
un cor tibétain
un violon chinois
une viole mongole
un crissement de cordes éraillées
des cris proférés

des cris sans douleur
des cris sans sons
des cris muets comme des ombres
des cris du fond des âges
ceux des esclaves, des mourants-de-faim, des morts à la guerre, des violés, des révoltés, des assassinés, des amoureux abandonnés

J’entends ces cris
dans ma mémoire
celle du fond des âges
celle d’avant avant
ils explosent
mon haut-parleur

Si je pouvais
avec la viole tibétaine
le violon mongol
le cor anglais
rassembler ces cris
si je pouvais

j’en ferais un opéra insupportable
inécoutable
injouable
définitif
comme la mort
sans rémission
sans répétition

Puis le silence.
et le silence
et le silence

Aujourd’hui

Intense
brumeux
temps de pluie
temps de vent
tant de vent
vent de temps
d’antan

Les rameaux s’étirent se tordent
geignent
pluie de pluie
tant de temps
tant de vent
vent de pluie
vent tordant

le temps ne vieillit pas
le vent de faiblit pas
il s’essouffle il s’affaisse
il chuchote il grommelle
la vie n’a pas de sens
le vent n’a pas de sens
le temps n’est qu’au présent