Monthly Archives: juillet 2015

Ce matin, la brume

Ce matin, dans la brume,
la montagne n’existait plus,
s’il faut en croire ce philosophe
selon qui
ce qu’on ne voit pas n’existe pas.
Et le sexe des anges, lui,
existe-t-il?
Ce matin,
il était peut-être sous la montagne
qui n’existait plus.

C’est mêlant, la philo
ça fait une sorte de brume
dans la tête
qui, dès lors, n’existe plus.
Qui donc alors écrit ce que j’écris,
pense ce que je pense?
J’arrête.
Trop de questions sans réponses
Trop d’angoisses pour un matin de brume
Mais l’angoisse, qu’on ne voit pas,
existe-t-elle?

Je suis une armoire

Quelquefois je me sens comme une armoire à vaisselle : pleine à craquer de connaissances dont les sept-huitièmes ne serviront à rien ni personne.

Où êtes-vous?

On perd des gens.
Tout au long de sa vie, on rencontre des personnes qu’on se prend à apprécier, à aimer, et puis on les perd. L’espace-temps, dans ces matières, est une dimension puissante, incompressible. Alors, aujourd’hui, je lance une perche vers quelques-unes de ces personnes dont j’aimerais savoir la destinée. Si elles se reconnaissent, elles sont priées de me faire signe. Ou pas, c’est selon.

Où es-tu, Gilbert L., qui a décidé de monter ma pièce « Duo pour voix obstinées » avant qu’elle soit terminée, et sans l’avoir lue? Ou bien tu avais confiance en moi, ou bien tu cherchais désespérément une pièce pour cette période vide dans ton théâtre. En tout cas, merci. Et merci encore.

Où es-tu, Carole P., qui a étudié au Conservatoire avec moi, qui es devenue pharmacienne, et qui croyait férocement aux médicaments la dernière fois qu’on s’est parlé? As-tu changé d’idée? Donnes-tu des suppléments alimentaires quelquefois, à présent, plutôt que des potions chimiques au nom incompréhensible, utiles, oui, mais pas tout le temps tout le temps?

Où es-tu, Jean R., avec qui j’ai vécu quand j’avais vingt ans, qui était infiniment drôle, gentil, charmeur, léger et intelligent? Fumes-tu encore de l’herbe? Encore trop? As-tu eu des enfants? Une maison à la campagne? Es-ce que tu as repris le magasin familial sur la rue Buade?

Où es-tu, Lucie R., qui a incarné avec une vérité intense mon Antoinette de « Du poil aux pattes comme les CWACs », et ma Victorine, du « Samourai amoureux »? Joues-tu encore? Peut-être, mais pas à Montréal parce que je ne t’y vois nulle part, et depuis longtemps. Es-tu heureuse? Je le souhaite, intensément.

Où es-tu, Gibette B., yeux-bruns-cheveux-bruns-visage-mutin, ma seule amie à l’école primaire, avec qui je confectionnais les fleurs en papier crêpé qui nous servaient à amasser des sous pour les guides? J’espère que tu n’as pas perdu ta fraîcheur et ta spontanéité sur ta route.

Où es-tu, soeur Gemma, dont je sentais, même si j’étais à peine adolescente, la difficulté d’être une religieuse, et d’être aussi parfaite qu’on te le demandait ou que tu l’aurais voulu ? Portes-tu encore le voile? As-tu rejoint Celui pour qui tu t’étais retirée de la vie civile? L’as-tu regretté, ce choix?

Et toi, Leonid O., mon amant russe, qui m’a appris comment faire le borsch au cours d’un séjour parisien, au retour duquel j’ai été si malheureuse que j’ai encore envie d’en pleurer, dans quel coin de ta tête compliquée t’es-tu réfugié pour échapper à tes perceptions extra sensibles, à la compréhension extra tortueuse de la vie que tu menais, exilé loin des tiens?

Et toi, Jean-Marie L., qui a joué mon personnage Philippe de  » Duo… » à Paris, qui produisait le spectacle – c’est pour cela que tu as joué le personnage, mal d’ailleurs – et qui ne m’a jamais payé mes droits, as-tu divorcé pour une troisième fois?

Et toi, Juliette M. comédienne née de parents comédiens, seule, puis avec un enfant, puis plus seule que jamais malgré la présence du père de l’enfant parce qu’il essayait de te rendre responsable de sa dépression, as-tu survécu, es-tu encore saine d’esprit, dans cet environnement toxique?

Et toi, Betty B., à la voix rauque et aux yeux noirs, vive, qui sait aimer et servir, qui sait pleurer et rire, s’amuser, et reconnaître, que deviens-tu auprès des copains ? Tu me manques, Betty, tu me manques. J’aimerais passer une soirée avec toi.

Quelquefois je ne veux pas que vous sombriez au fond de ma mémoire.
Aujourd’hui par exemple.
Je ne veux pas vous perdre.
Je ne veux pas.

De gomme à effacer et de confiture au cassis

J’ai l’impression de ne rien faire de mes journées, et pourtant je cours tout le temps. Par exemple, ce matin.
Je remplissais un formulaire de Revenu Québec qui demande de donner des numéros, des relevés de revenus et des dates, des dates, des dates que je dois chercher dans des dossiers. Des dates que je ne trouvais pas ; par exemple, la date du début de mes opérations comme petit fournisseur de… Je vous fais grâce des détails. J’ai donc demandée ladite date au préposé de Revenu Québec, et l’ai inscrite au plomb sur le formulaire que j’avais trouvé en ligne et imprimé.
Quand j’ai voulu effacer cette date écrite au plomb pour la mettre à l’encre, au propre, j’ai utilisé une gomme à effacer si vieille qu’elle a fait une grosse tache sur le papier. J’ai donc cherché donc une gomme plus neuve pour effacer cette tache, gomme que je n’ai pas trouvée – est-on surpris?- là où je la mets habituellement.
J’ai voulu utiliser l’efface au bout de mon crayon, mais elle était trop sèche, celle-là aussi. J’ai donc cherché les crayons neufs, j’en ai habituellement une boîte dans mon bureau. Mais sans doute pas dans ce bureau-ci, parce que je n’ai pas trouvé la boîte en question.
Pas de problème, que je me suis dit, j’ai toujours un crayon dans mon sac à main.
Je descends au rez-de-chaussée chercher ledit sac. Pendant que je cherche – l’ai-je laissé dans l’entrée?-, on frappe à ma porte.
J’ouvre. C’est Sofia, la petite voisine, 6 ans, qui veut que je lui dise où elle peut trouver une couleuvre sur mon terrain – son frère est venu il n’y a pas une heure me montrer le spécimen agité qu’il venait d’attraper. Je lui offre plutôt de goûter la confiture de cassis que j’ai faite ; elle met le nez dans ma marmite pleine, et elle comprend enfin pourquoi j’avais cueilli autant de cassis hier.
Le téléphone sonne, je réponds tout en sortant un contenant de l’armoire, dans l’idée de donner un peu de confiture à Sofia. Elle tient le plat, le colle contre la marmite, je le remplis à moitié, dépose la grande cuiller dont je me servais et continue à parler au téléphone. Elle ne détache pas le contenant de la marmite, je comprends qu’elle veut plus de confitures, j’en ajoute, j’en ajoute… Elle ne détache son contenant que lorsque je l’ai rempli à ras bord et y installe le couvercle.
Mon téléphone se termine, je laisse partir une Sofia toute contente, en lui demandant de me rendre mon plat quand elle et sa famille auront terminé la confiture.
Je reste près de la porte un instant, me demandant ce que je venais faire au rez-de-chaussée.
Tant qu’à y être, je vérifie le pain et, sans me rappeler pourquoi j’étais descendue, je remonte à l’étage. Sans mon sac à main.
De retour à mon pupitre, j’y retrouve ma feuille, ma tache, ma vieille gomme à effacer, que je précipite à la poubelle – après vingt ans, ce n’est pas du gaspillage – et me rassoit.
Sans gomme à effacer qui soit utilisable.
Je soupire.
Me souviens que je dois trouver mon sac parce que j’ai besoin d’un bonne gomme à effacer…
Je regarde autour distraitement, histoire de digérer le fait d’être forcée à redescendre et, ô miracle, je vois la ganse de mon sac à main qui dépasse de sous mon pupitre.
Wow!
Je récupère mon sac, y trouve un crayon automatique avec une belle gomme toute neuve… mais inefficace. La tache est moins foncée, mais toujours présente. Tant pis, le fonctionnaire qui étudiera mon dossier devra l’accepter. C’est mieux qu’une tache de confitures de cassis. Et puis, dans une maison avec des enfants qui surgissent à n’importe quelle heure, des confitures, de la peinture, des comptoirs qui manquent, un potager à désherber, des corrections à faire sur des textes, des amies dont le courriel vient de se faire pirater et un orage qui menace d’éclater, on ne peut pas s’attendre à ce que les papiers soient d’une propreté impeccable.

Je finis de remplir le formulaire, cherche où je dois l’envoyer, ne trouve pas, rappelle à Revenu Québec (c’est le quatrième préposé auquel je parle en deux jours) pour me faire dire que l’adresse en question est en haut dudit formulaire, me sens idiote, m’excuse, le préposé me demande comment j’ai répondu à la question 2,4, je regarde, on s’explique longuement – j’essaie de comprendre ce qu’il veut -, finalement, sans que j’aie compris vraiment de quoi il s’agit, j’ai donné à 2,4 la réponse qu’il fallait dans les circonstances et dans ma situation. Ouf.
Plie le formulaire, trouve une enveloppe, un timbre, oublie de photocopier le document, rouvre l’enveloppe, change de timbre…
Ainsi, la journée passe et j’ai l’impression de n’avoir rien fait du tout. Mais ça sent le cassis dans la maison. C’est au moins ça de pris.

Le soleil sur l’oreille

Cet après-midi je conduisais, revenant de Cowansville. Ma fenêtre était ouverte, le soleil me chauffait l’oreille gauche, les collines et les arbres et les champs étaient d’un vert si éblouissant que j’en ai oublié un instant que j’étais sur la route, et que, pendant cette éternité, j’ai eu envie de ne pas mourir.

J’ai monté la colline douce, j’ai tourné pour prendre le chemin qui passe devant ma maison, j’ai roulé sur cette route de cailloux, d’ombres et de courbes, et quelque chose en moi répétait que je n’avais pas envie de mourir.

Mourir? Mais non, mais non.

Moi qui essaie d’apprivoiser la mort à tous les jours, surtout depuis que je sais qu’elle est prochaine – l’âge, vous voyez -, j’ai l’impression que mon travail est inutile. Juste à cause de ce maudit vert presque phosphorescent, de la chaleur sur mon oreille, du vent qui bouge mes couettes grises, je défie la réalité.

Avant, je ne pensais pas à la mort. Maintenant j’y pense volontairement, mais je saisis n’importe quoi pour l’éviter, pour m’échapper de ma condition. Sourire au ciel sans raison autre que la beauté du jour, les cheveux qui frôlent les tempes et l’étrangeté de la route où des voitures viennent en sens inverse … C’est franchement n’importe quoi.

S’échapper de sa condition à cause d’une oreille chaude. C’est n’importe quoi.

N’importe quoi.

Vraiment.