Durant la nuit dernière, celle que j’interromps pour écrire, je me suis réveillée d’un cauchemar durant lequel je me demande quoi faire de ma vie, de mes talents. Je suis à une croisée de chemins et, tout autour, il y a du brouillard. J’agite les bras dans tous les sens pour le dissiper, en vain; il est toujours aussi dense, aussi effrayant, et je veux avancer, mais je dois plonger, faire confiance, et c’est ardu, souffrant. J’ai peur de tout mon être, surtout la partie cachée de moi, celle qui a quarante étages.
Au fait, au moment de mon rêve, j’ai 43 étages ainsi répartis : 40 de confusion et 3 de détermination. Grosse de mes 43 étages invisibles à l’œil nu, je flotte au-dessus de mon propre brouillard et la moindre pensée de plonger dans la mer d’incertitudes et d’ignorance qui m’entoure me plonge dans des angoisses innommables. Je ne sais pas travailler, je suis incapable de m’asseoir pour penser, c’est trop inconfortable, je risque d’éclater sur place comme une grenade dégoupillée ; il n’y a que la fuite qui permet d’oublier, pour un instant, le malaise sur lequel je nage péniblement une brasse immobile.
Mon compagnon de l’époque essaie de me dire comment procéder : demande-toi où tu veux être dans un an, deux ans, trois ans, détermine tes objectifs, fais un plan, suis son plan… Ça m’effraie. Ça me sidère. Il m’effraie, il me sidère. Je suis incapable de faire un plan de ce genre, je peux à peine vivre au jour présent. Sa suggestion me met dans un état d’immobilité agressive. Je pourrais, s’il continue, lui sauter au cou. Comment peut-on décider d’agir de façon aussi superficielle, organisée, simplette? Je ne me comprends pas, d’accord, mais lui me comprend encore moins. Juste sa suggestion me fait reculer d’un demi-tour de terre dans la relation. Reculer, reculer. Je ne sais pas s’il a raison, mais, s’il a raison, c’est invraisemblable, c’est inutile de continuer à vivre, je suis incapable, incapable de voir la vie, ma vie, de cette façon. 43 étages, je vous dis, et 40 de confusion.
Quand je me suis réveillée, tantôt, j’étais intéressée par des cours de musique et je me demandais si on m’accepterait en faculté comme étudiant libre. Sans doute un des premiers étages de mes constructions psychologiques et émotives de ce temps-là vient de se désagréger, ou de se manifester, et remonte jusqu’à ma conscience endormie. Fallait-il que j’aie peur de mes millions de secrets pour que ça dure encore et encore. Et encore.