Category Archives: Humeur

Un cheveu en moins, deux, trois…

Déstabilisante, la vie.

On ne s’est pas sitôt habitués à voir ses cheveux blancs dans le miroir que déjà il faut s’habituer au fait qu’on les perd, et tous les jours davantage.

Bof.

On se regarde moins, non?

Je suis une armoire

Quelquefois je me sens comme une armoire à vaisselle : pleine à craquer de connaissances dont les sept-huitièmes ne serviront à rien ni personne.

Où êtes-vous?

On perd des gens.
Tout au long de sa vie, on rencontre des personnes qu’on se prend à apprécier, à aimer, et puis on les perd. L’espace-temps, dans ces matières, est une dimension puissante, incompressible. Alors, aujourd’hui, je lance une perche vers quelques-unes de ces personnes dont j’aimerais savoir la destinée. Si elles se reconnaissent, elles sont priées de me faire signe. Ou pas, c’est selon.

Où es-tu, Gilbert L., qui a décidé de monter ma pièce « Duo pour voix obstinées » avant qu’elle soit terminée, et sans l’avoir lue? Ou bien tu avais confiance en moi, ou bien tu cherchais désespérément une pièce pour cette période vide dans ton théâtre. En tout cas, merci. Et merci encore.

Où es-tu, Carole P., qui a étudié au Conservatoire avec moi, qui es devenue pharmacienne, et qui croyait férocement aux médicaments la dernière fois qu’on s’est parlé? As-tu changé d’idée? Donnes-tu des suppléments alimentaires quelquefois, à présent, plutôt que des potions chimiques au nom incompréhensible, utiles, oui, mais pas tout le temps tout le temps?

Où es-tu, Jean R., avec qui j’ai vécu quand j’avais vingt ans, qui était infiniment drôle, gentil, charmeur, léger et intelligent? Fumes-tu encore de l’herbe? Encore trop? As-tu eu des enfants? Une maison à la campagne? Es-ce que tu as repris le magasin familial sur la rue Buade?

Où es-tu, Lucie R., qui a incarné avec une vérité intense mon Antoinette de « Du poil aux pattes comme les CWACs », et ma Victorine, du « Samourai amoureux »? Joues-tu encore? Peut-être, mais pas à Montréal parce que je ne t’y vois nulle part, et depuis longtemps. Es-tu heureuse? Je le souhaite, intensément.

Où es-tu, Gibette B., yeux-bruns-cheveux-bruns-visage-mutin, ma seule amie à l’école primaire, avec qui je confectionnais les fleurs en papier crêpé qui nous servaient à amasser des sous pour les guides? J’espère que tu n’as pas perdu ta fraîcheur et ta spontanéité sur ta route.

Où es-tu, soeur Gemma, dont je sentais, même si j’étais à peine adolescente, la difficulté d’être une religieuse, et d’être aussi parfaite qu’on te le demandait ou que tu l’aurais voulu ? Portes-tu encore le voile? As-tu rejoint Celui pour qui tu t’étais retirée de la vie civile? L’as-tu regretté, ce choix?

Et toi, Leonid O., mon amant russe, qui m’a appris comment faire le borsch au cours d’un séjour parisien, au retour duquel j’ai été si malheureuse que j’ai encore envie d’en pleurer, dans quel coin de ta tête compliquée t’es-tu réfugié pour échapper à tes perceptions extra sensibles, à la compréhension extra tortueuse de la vie que tu menais, exilé loin des tiens?

Et toi, Jean-Marie L., qui a joué mon personnage Philippe de  » Duo… » à Paris, qui produisait le spectacle – c’est pour cela que tu as joué le personnage, mal d’ailleurs – et qui ne m’a jamais payé mes droits, as-tu divorcé pour une troisième fois?

Et toi, Juliette M. comédienne née de parents comédiens, seule, puis avec un enfant, puis plus seule que jamais malgré la présence du père de l’enfant parce qu’il essayait de te rendre responsable de sa dépression, as-tu survécu, es-tu encore saine d’esprit, dans cet environnement toxique?

Et toi, Betty B., à la voix rauque et aux yeux noirs, vive, qui sait aimer et servir, qui sait pleurer et rire, s’amuser, et reconnaître, que deviens-tu auprès des copains ? Tu me manques, Betty, tu me manques. J’aimerais passer une soirée avec toi.

Quelquefois je ne veux pas que vous sombriez au fond de ma mémoire.
Aujourd’hui par exemple.
Je ne veux pas vous perdre.
Je ne veux pas.

Le soleil sur l’oreille

Cet après-midi je conduisais, revenant de Cowansville. Ma fenêtre était ouverte, le soleil me chauffait l’oreille gauche, les collines et les arbres et les champs étaient d’un vert si éblouissant que j’en ai oublié un instant que j’étais sur la route, et que, pendant cette éternité, j’ai eu envie de ne pas mourir.

J’ai monté la colline douce, j’ai tourné pour prendre le chemin qui passe devant ma maison, j’ai roulé sur cette route de cailloux, d’ombres et de courbes, et quelque chose en moi répétait que je n’avais pas envie de mourir.

Mourir? Mais non, mais non.

Moi qui essaie d’apprivoiser la mort à tous les jours, surtout depuis que je sais qu’elle est prochaine – l’âge, vous voyez -, j’ai l’impression que mon travail est inutile. Juste à cause de ce maudit vert presque phosphorescent, de la chaleur sur mon oreille, du vent qui bouge mes couettes grises, je défie la réalité.

Avant, je ne pensais pas à la mort. Maintenant j’y pense volontairement, mais je saisis n’importe quoi pour l’éviter, pour m’échapper de ma condition. Sourire au ciel sans raison autre que la beauté du jour, les cheveux qui frôlent les tempes et l’étrangeté de la route où des voitures viennent en sens inverse … C’est franchement n’importe quoi.

S’échapper de sa condition à cause d’une oreille chaude. C’est n’importe quoi.

N’importe quoi.

Vraiment.

Les rides

Ce n’est pas parce que notre vue baisse qu’il faut prétendre ou croire ne pas avoir de rides.

Pacte d’amour

Hier, en faisant le ménage dans mes papiers, j’ai retrouvé une carte d’anniversaire. Elle était libellée comme suit :
Chère Maryse, En ce jour d’anniversaire, je sens le besoin de faire un « pacte » d’amour pour tout le temps que nous serons en vie!
: « Quoi qu’il arrive, je t’aime et je t’aimerai ».

Et c’est signé Lou.

Lou?
Est-ce Louise (j’en connais au moins 2), Marie-Lou, Marie-Louise, Louisette, Marie-Louisette, Loulou ou Lucie? Qui est cette Lou qui a promis de m’aimer jusqu’à sa mort ou la mienne? Je n’ai plus de Lou dans mon entourage, en tout cas pas de Louise qui se fait appeler Lou.

Au surplus, je ne sais pour quel anniversaire la Lou en question m’a offert cette carte et ce pacte, il n’y a pas d’enveloppe, Mais il y a longtemps, puisque la carte est jaunie et qu’elle montre deux petits lapins lançant un cerf-volant, un modèle vraiment démodé. Je l’ai reçue durant vie antérieure, quand je vivais avec un autre homme que celui avec qui je vis maintenant, mais lequel?

Cette Lou, est-ce celle qui m’a donné un cœur en argent ? Est-ce la Louisette qui parlait tant mais qui était si intéressante? Est-ce la Louise qui racontait tous mes secrets à haute voix, tellement que j’en développais des envies de meurtre? Est-ce celle qui m’a insultés en parlant de mes trente ans alors que je n’en avais que vingt-neuf ? (J’avais bon caractère, non?) Est-ce celle qui a couché avec mon chum? Est-ce la Marilou qui m’a parlé des engrames de la scientologie (Dieu du ciel, j’espère qu’elle n’est pas allée plus loin dans cette voie!) ? Est-ce la Marie-Louise qui estimait qu’elle était née dans le mauvais corps? Est-ce la Lucie qui avait une si jolie voix, des mots si doux pour dire une grande frustration?

Quoiqu’il en soit, je sais désormais qu’il y a une Lou quelque part dans le monde que je ne vois jamais, avec qui je ne parle pas depuis plus de trente ans, mais qui m’aime encore. C’est rassurant. De l’amour totalement gratis. Et si Lou oublié son pacte et moi avec, je ne perds rien. Quand on a une intention comme celle-là, il y a, inscrit dans le temps et l’espace, quelque chose qui en reste. Et dont je profite. Et pour lequel je suis reconnaissante.

Chère Lou, je ne sais plus qui tu es, mais je t’aime moi aussi. Mon amour a connu des soubresauts tout au long du chemin qui m’a mené jusqu’ici, j’ai même failli le perdre, mais le temps m’a permis de prendre un peu de distance, de sourire aux souvenirs et de tout pardonner. Et de tout apprécier.

Mes amies écrivaines

J’ai la chance inouïe d’avoir deux amies écrivaines. Il n’y a pas grand monde qui peut en dire autant.

Si vous n’avez pas d’amies écrivaines, vous ne passez pas de longues soirées à rire, et que ça fait tellement de bien que vous vous en souvenez des mois durant. Si vous n’avez pas d’amies écrivaines, vous ne connaissez personne qui soit si à l’affût d’idées, si convaincue qu’il faut les choisir, si certaine que les idées ne sont rien en soi, mais qu’il faut les travailler, les travailler, et les travailler encore.

Vos amies écrivaines sont comme vous, elles ne savent plus de quelle façon répondre à la fameuse question qu’on leur pose tout le temps « Où vous prenez vos idées? ». Elles savent que les idées ne sont pas comme des ballots de paille. On peut en avoir des milliers, mais il n’y en a qu’une qui, de temps en temps qui s’inscruste suffisamment fort et bien pour qu’on puisse la travailler, et la travailler encore jusqu’à ce qu’elle finisse par générer 100 ou 200 pages. Et donner à peu près satisfaction. Une « oeuvre » qui peut être lue, comprise et appréciée par d’autres, comme un lien tangible vers l’invisible, un bouffée d’air frais dans un monde pollué.

Si vous n’avez pas d’amies écrivaines, vous ne connaissez personne qui travaille autant pour si peu, qui doit de gagner des prix pour s’acheter un manteau, qui attend les chèques annuels de droits sans jamais savoir à l’avance quel en sera le montant, mais qui compte sur ce chèque-là pour pouvoir payer son électricité.

Mes amies écrivaines savent calculer, c’est vital, elles savent surtout regarder et écouter, c’est fondamental, elles travaillent à apprivoiser la vie, leur vie. Elles essaient de survivre à ce besoin qu’elles ont de raconter, sachant que ce besoin est à la fois leur force et leur faiblesse. Sans ce besoin irrépressible, elles seraient infirmières ou professeurs, elles auraient droit à une retraite, elles auraient une vie qui n’a pas besoin de se faire comprendre, dire, raconter, pour laquelle elles auraient moins de respect, peut-être, mais plus d’amitié. Quand on est ballottées sur sa mer intérieure et qu’on ne n’a pu se construire qu’un petit bateau à rames, on a beaucoup de respect pour la mer, très peur que le ciel se couvre et beaucoup d’attachement à son embarcation.

Si vous n’avez pas d’amie écrivaine, vous qui écrivez, trouvez-en une, au moins. Elle partagera votre île solitaire sans jamais vous imposer un seul mot à dire, une seule pensée à écrire. Parce que la principale qualité des amies écrivainces, c’est qu’elles savent respecter tout dans l’être, tout dans l’écriture. Tout dans les autres.

Hommage à mes amies écrivaines et à leurs amies, qui savent qu’elles ont accès à un trésor d’une richesse insensée, fragile, mais inépuisable.

Apprendre

La petite Samanta, qui a maintenant 6 ans, a appris beaucoup depuis que nous la connaissons :
marcher
monter et descendre les escaliers sans se casser le cou
courir partout
être moins timide avec nous
demander ce qu’elle veut manger et ce qu’elle veut faire
exprimer son contentement quand on dit oui
faire fonctionner le iPad
ne pas trop martyriser son chien
choisir ses vêtements
dessiner des coeurs
faire le pain en me regardant
parler, d’abord sans ses RRR et maintenant avec quelques RRR de sorte que je peux la comprendre un peu
dire « por favor » et « gracias » quand elle demande et reçoit
fouiller dans le garde-manger
chanter comme une crécelle pour nous agacer
apporter des fleurs pour nous faire plaisir…

Et nous, qu’avons-nous appris pendant le temps où elle devenait un petite fille prête à aller à l’école?
quelques mots d’espagnol
la laisser fouiller dans le garde-manger
cultiver des orchidées
couper la tôle
utiliser de la noix de coco dans nos transplantations d’arbres et de fleurs
comprendre un peu Samanta quand elle parle
connaître l’humour de Maria, sa mère
attendre pour planter qu’il commence à pleuvoir
que la cruauté humaine n’a pas de limites, quand celui qui la pratique est certain d’avoir raison
que l’idée de Dieu n’est autre que celle qu’on crée à partir de son caractère et son ignorance
que les politiciens nous mentent comme si nous étions des enfants idiots et que, quelquefois, ils sont réélus quand même parce que nous sommes des idiots
qu’on ne peut pas déménager quand on veut comme on veut d’un pays, d’une maison
qu’on peut s’enraciner dans la beauté comme dans la laideur…

Chacun son âge, chacun son apprentissage.
L’enfant ne se demande pas si c’est agréable d’apprendre ; elle/il le fait parce que sa nature curieuse l’y pousse. Je suppose qu’il en est ainsi des tous les enfants qu’on nourrit suffisamment. L’adulte, lui, s’il veut continuer à avancer, doit apprendre, quelque part sur son chemin, à passer à travers l’agréable et le désagréable avec le même intérêt. Cela s’appelle, je crois, l’équanimité.

Ma peur

Il m’aura fallu des années pour ne plus avoir peur des hommes. Peur en général. Respect en particulier. Trop de respect. Trop de mon silence autour d’eux. Peur qu’ils expriment de la colère à mon endroit, qu’ils me jugent, qu’ils me rejettent, me méprisent, me frappent.

Ce n’est pas que j’ai été violentée, non. C’est que ma mère avait peur de mon père et qu’il ne faisait rien, mais rien, pour changer ce sentiment qui s’approfondissait, se solidifiait avec avec le temps. Il était tendu, elle avait besoin de son consentement pour presque tout, de son argent pour tout. Elle se sentait coupable de trop dépenser, il en rajoutait, or elle n’était pas dépensière et nous étions 7 enfants ; il fallait bien manger et nous habiller. Elle n’osait pas donner son opinion, contester ses décisions, or nous sommes tous passés par l’adolescence, cette période où il nous défendait de sortir, faisant de nous, au bout du compte, des êtres ayant des difficultés de communication avec leurs semblables.

Il m’a fallu toute ma vie d’adulte, en fait, pour me débarrasser de ma peur. Ce n’est que maintenant que je peux dire que je considère les hommes comme de vrais êtres de chair et d’os, qui ne se sentent pas nécessairement supérieurs, intouchables, infaillibles, qui ont peur aussi, faim, soif, qui tremblent devant l’inconnu, qui préfèrent quelquefois leur confort à l’aventure, leur femme à la voisine, qui continuent à apprendre, qui nous regardent souvent avec intérêt et attention, et qui sont aussi incertains que nous devant ce que la vie leur présente.

Toute ma vie d’adulte et, je le répète, je n’ai jamais été battue. Quelle difficulté ce doit être alors pour celles qui ont subi des coups ; j’essaie de l’imaginer et j’en suis incapable. Est-ce qu’elles y arrivent vraiment, un jour?