Le processus créateur

  1. L’impulsion

L’impulsion est l’idée fondatrice,

l’envie inextinguible de cette idée de voir le jour,

le besoin,

le traumatisme,

la souffrance essentielle,

la sensation de manque,

l’obsession,

l’image essentielle vers laquelle tout le projet converge, de laquelle naît tout le projet ; elle comporte nécessairement une part d’émotion

 

L’impulsion est l’élément fondamental de toute création, quelle qu’elle soit; elle en est la matière vivante première et essentielle. Si on n’a pas de besoin, pas de blessure, pas de vision, pas de désir (personnel ou pas), rien à comprendre, rien à solutionner de toute urgence (un problème psychologique? émotif?), pas de vision de ce qui devrait arriver, de ce qui ne devrait pas arriver, ni à nous ni au monde, pas de souffrance, pas de désir de vivre mieux avec soi, les autres et le monde, pas de désir de comprendre sa souffrance, pas de désir de vivre mieux, on ne fait pas une œuvre. On n’a rien avec quoi travailler, rien qui germe, rien.

L’impulsion a sa propre nature. Elle peut comporter de la douleur, de la fantaisie, le désir d’assassiner ou de ressusciter, le désir de rédemption, le désir de destruction ou de construction, le désir de connaître, d’influencer, d’approfondir. Aussi, c’est corollaire mais indispensable, l’impulsion comporte le désir de se prolonger soi-même en tant que substance importante, de réaliser sa finalité, de finaliser sa réalité.  

Si on veut être capable de travailler avec son impulsion, d’en faire une œuvre, on doit reconnaître sa nature, sa couleur, son odeur. On doit travailler à la connaître sans la blesser, la coincer ou l’étouffer. Il faut donc la regarder et l’interroger avec douceur et insistance, l’analyser sans agressivité, l’examiner avec bienveillance.

Il y a des impulsions noires et rouge sang, d’autres, transparentes mais solides, d’autres translucides et roublardes, d’autre électriques et fugaces, d’autres qui sont des pieux profondément enfoncés dans le sol et qui se mettent à fleurir, d’autres après lesquelles il faut courir tellement elles se dérobent. Tout dépend du degré de conscience (de soi) de l’être en qui l’impulsion naît ou se dépose. Ces impulsions sont aussi variées que les êtres humains qui les ressentent, aussi innombrables que les heures de toutes les journées sur terre.

Mais une impulsion avec laquelle on peut travailler doit être puissante ; elle doit porter en elle une puissance adaptée au mode de création qu’elle commande. On peut tomber d’accord facilement sur le fait que l’écriture d’un haiku, par exemple, est générée par une puissance, une énergie adaptée à sa dimension ; idem pour un roman de 500 pages, qui aurait alors besoin d’une impulsion plus puissante et durable, fait d’un matériau plus dense et lourd –quoiqu’il y ait des auteurs-trices qui écrivent 500 pages sur une idée mince comme un papier de soie et le reste est verbiage.

Cette force première, fondatrice, je l’appelle impulsion plutôt qu’idée parce qu’elle doit contenir l’énergie dont elle a besoin pour prendre forme. Comme un germe.

L’impulsion ne peut grandir que si elle est poussée par l’ego. Il faut de l’ambition pour la propulser malgré les difficultés qu’elle génère. Parce que l’impulsion a cela d’inscrit en elle : elle commande du travail, de la recherche, de la patience, de la souffrance. Il faut vouloir en tenir compte, être mû par elle, mais aussi, il faut en accepter la présence et l’influence en soi. Un être dont l’égo serait faible ou embrouillé – il y a des êtres qui ne (re)connaissent presque rien en eux, qui se laissent porter par le courant, qui, dès le départ, ont été écrasés ou pollués – laisserait tomber cette demande intérieure pour préférer son confort – tout relatif, ça va de soi.

Il faut donc de l’ambition et du courage pour réaliser une œuvre. Parce qu’une œuvre nous expose à nous-mêmes et aux autres. Si on refuse de s’exposer, de se laisser connaître, on se ferme, on s’étrangle, on tue l’essence de l’œuvre et son existence même. Quiconque regarde une œuvre, ou lit un livre, peut avoir une certaine connaissance – au moins intuitive – de son auteur, de sa vision du monde, de sa vision de soi dans le monde, de sa vision du présent et de sa présence au monde, aux autres. Il y a toujours une dimension personnelle intime et profonde à une œuvre, et toujours, aussi, une vision sociale, communautaire, politique. L’œuvre est en quelque sorte une transformation du réel qui charrie dans son sillage une signification plus profonde, plus lourde que le réel tel qu’on le perçoit généralement; ce « réel » est alors est alors amplifié par la loupe déformante (créatrice?) de la personnalité de l’auteur, du créateur. L’ego plaque en effet sur le réel, pour fins de création d’une œuvre, une vision unique, qui le rend compréhensible, perceptible à l’entourage qui la regarde, la lit, l’écoute, prend contact avec elle, la ressent.

Il n’y a pas d’œuvre sans impulsion première, même si cette œuvre est « déformée » par l’habitude du créateur (l’écrivain qui produit son 100e livre, par exemple) ou par la maladresse due à l’inexpérience. Il n’y a pas d’œuvre sans idée ni sans l’impulsion de permettre à cette idée d’être mise dans une forme transmissible aux autres, au monde – même si cette transmission ne se produit pas, au bout du compte.

 

Impulsion, donc. Ambition. Exhibition. Amplification. Puis cristallisation d’un réel déformé par la personnalité du créateur.

 

À suivre.

Le processus créateur

2. La matière

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