Entre l’information et la désinformation, depuis quelques années, ces jours-ci surtout, il n’y a qu’une fine ligne que je discerne de moins en moins.
Entre l’impuissance et le laisser-aller, rien n’est visible, sauf pour la personne qui essaie de s’extirper de l’un et de ne pas être abattue par l’autre. Et vice-versa.
Entre la colère et l’exposé bien structuré et vindicatif (mais probablement inutile) au sujet de l’atrocité et de la cruauté de la guerre, il n’y a qu’un souffle, qu’un petit pas intérieur. J’essaie de rester sur le pas de la porte entre les deux, mais c’est difficile.
J’adopterais tous les tons que je connais, depuis les notes blanches et noires de tous les arpèges du piano jusqu’aux sons de la nature et des animaux, en passant par la menace, le chantage, la promesse, la mièvrerie, l’amour, le sens de l’éternité de l’histoire, j’utiliserais tous les tons, couleurs, nuances et puissances vocales et mentales que je connais, que j’ai développées au cours des années, pour essayer de persuader quelqu’un d’arrêter la guerre. Mais toutes ces belles capacités, acquises de haute lutte, sont inutiles, ô frustration.
Je suis là, moi, mon corps qui respire et qui mange, qui expulse, qui pense, qui s’émeut, qui s’attriste et se révolte et ahane tant la douleur est intense, et qui hoche la tête d’un côté et de l’autre parce qu’elle ne tient presque plus sur mes épaules tellement elle me fait mal, je suis là, donc, et il me semble que je suis immobile, figée, au centre de toute cette incertitude, cette cruauté, cette stupidité gigantesque et insensée que constitue l’attaque de Putin sur l’Ukraine, ou la faim généralisée au Yémen. Le monde se liquéfie sous les bombes, mes tympans sont arrachés, la vie éclate en gravats et blesse les chairs, celle des enfants, des femmes, des hommes et des animaux, et attaque tout tout ce qui est vivant partout sur notre planète. Partout.
Et moi, mon corps, mon âme, on n’y peut presque rien. Infinitésimalement rien *.
Ça ne veut pas dire que je n’envoie pas d’argent pour aider – infinitésimalement peu -, ça veut simplement dire que l’amour, la paix, l’entr’aide et la solidarité salvatrices n’ont aucune puissance aujourd’hui pour arrêter tout ça. Pour arrêter quoi que ce soit d’ailleurs.
À quoi servez-vous, moi, mon corps, mon âme, etc. ? À quoi je sers?
*Je sais, ce n’est pas un mot, mais il me semblait que, dans les circonstances, ça disait ce que ça voulait dire.
Je t’entends Maryse, je m’entends aussi en te lisant. Tout comme un vieux vêtement, cette situation a été retournée à l’envers et analysée sous toutes ses coutures. J’ai essayé de comprendre. Il n’y a aucune justification pour cette guerre, sauf la peur de Putin de se voir disparaître.
La semaine dernière, j’ai pété une coche – ce n’est pas possible, il n’y a personne qui peut l’arrêter? Pour réaliser que même si Putin est arrêté, un autre fou fera son apparition, du moins dans la société telle que nous la connaissons aujourd’hui avec ses en-jeux.
À quoi je sers dans tout ça? Il n’y a qu’une chose que je peux faire. Poursuivre la tâche de me rappeler qui je suis. Complète, donc sans possibilités de juger et encore moins d’avoir recours à la violence ou à la guerre. Complète veut aussi dire aimer, aimer point. Est-ce que je reconnais toujours ma nature « complète » ? Non, mais cela ne m’empêche pas de vouloir essayer.
Une pensée meurtrière comme celle de la semaine passée est justement ce qu’il me faut transcender en ne la jugeant pas, mais en prenant responsabilité. Si je fais partie du problème, je fais aussi partie de la solution.
Si chacun de nous vivait pour se rappeler de leur vrai nature, il n’y aurait plus de guerre. Je n’ai pas l’espoir de voir ceci de mon vivant, mais qui sait peut-être dans une autre vie?