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Il paraît

Cette souffrance-là, ce travail-là, d’essayer simplement de vivre en harmonie,

de respecter les autres,

de cultiver un coeur joyeux,

de comprendre ce qu’on est et ce qu’on fait sur cette terre,

d’essayer de soigner la vie dans ses plus petites manifestations,

d’apprivoiser la mort et la maladie tous les jours,

de créer de l’harmonie dans nos maisons, nos repas, nos tenues, nos rapports,

ces questions-là, de ne pas être cruel même si la vie nous fait mal,

de ne pas être égoïste alors qu’on ne cherche qu’à tout ramener à soi,

d’essayer de comprendre nos systèmes d’éducation, de soins, de communications qui ne communiquent pas grand-chose, et nous-même, qui sommes des mystères de plus en plus épais à mesure que nous avançons en âge,

cette souffrance-là de se sentir dépassés, rejetés, dénigrés,

cette souffrance-là de savoir que Dieu n’existe pas et ne veille pas sur nous et qu’il n’y a personne de puissant qui viendra nous sauver de la mort et de la perte des êtres chers et de la dépossession de nos illusions,

celle-là qu’on ressent quand on voit des enfants abandonnés, maltraités, violés, malheureux, affamés,

cette souffrance-là, qui n’est que le joug normal qu’un humain doit porter sur ses épaules étant donné sa nature,

sans oublier la souffrance du désir non assouvi qu’on doit faire éclater dans l’univers si on ne veut pas qu’il nous plie en deux, de l’amour non reconnu qu’on doit distribuer tout autour si on ne veut pas qu’il nous ronge jusqu’aux os,

celle-là du frère qui se moque, de la soeur qui se noie dans son chagrin et pour laquelle on ne peut rien

ces souffrances-là, qui sont le lot de tout être humain sur cette planète,

il me semble qu’elles seraient suffisantes, non?

 

On n’a pas besoin en plus de recevoir des bombes sur la tête qui détruisent nos maisons, nos oeuvres, le petit bien-être qu’on s’est construit à force de travail lent et laborieux,

on n’a pas besoin de tanks et de chars qui marchent sur les jambes des morts, des viols à répétition, des mensonges hideux, des casques de fer, des tranchées suintantes d’humidité, du bruit hideux des canons qui nous déchire si fort les tympans qu’on souhaiterait être sourd pour ne pas les entendre et ainsi ne pas savoir ce qu’ils signifient, ces bruits de fin du monde,

pas besoin de la noyade de marins dans un navire éventré, de la torture ordinaire que le bourreau inflige à celui qui l’a combattu, ou peut-être même à celui qui ne l’a pas affronté, qui ne l’a même pas haï,

on n’a pas besoin de ça.

C’est un surplus de laideur, d’horreur, de cruauté, dont on pourrait faire l’économie.

 

Mais il paraît que ça aussi c’est humain, ne pas savoir économiser sur la souffrance, la cruauté, le mépris et le rejet, sans parler des bombes et des balles de fusil et des tanks et des roquettes;

Il paraît que ça aussi fait partie de ce qu’on reçoit comme bagage à la naissance. Comme bagage. Que ça vient avec la vie. Que ça vient avec la force ou la faiblesse, avec la déception, la jalousie, le mépris, la haine et la peur. Que ça vient tout seul quand on laisse monter à l’intérieur de nous cette sorte de feu qui veut immobiliser ou brûler les autres, les voir disparaître.

Il paraît.

Je suppose que c’est vrai, puisque c’est là. Puisque, dans toute notre histoire, ça a toujours été là.

C’est vrai.

C’est là.

Ça paraît. Ça explose. Ça détruit. Ça hurle. Ça tue en déchiquetant. Et il n’y jamais assez de larmes, celles des mères et des pères, celles des soldats et des soignants, celles des enfants, des violées, pour éteindre le feu destructeur ravageur, pour apaiser l’odeur de chair brûlée qui se répand d’une maison à l’autre, d’un continent à l’autre, d’une vie à l’autre sans jamais faiblir.

 

 

 

 

Ces jours-ci

Ces jours-ci, j’ai l’impression d’avoir 13 ans à nouveau. Pourquoi? Parce que je regarde des histoires d’amour à la télé. Parfaitement. Des histoires d’amour qui viennent de Corée qui sont distillées en 16 épisodes de plus d’une heure chacun, écrites et réalisées selon les standards du genre : joyeuses, émouvantes (généralement bien construites, au demeurant) et qui finissent bien, version coréenne de : ils se marièrent, eurent de l’argent et peu d’enfants.

Et pourtant, je sais ce qui suit l’union de deux personnes qui s’aiment. Ce n’est pas toujours la félicité, loin de là. Tenons déjà pour acquis que les deux amoureux restent fidèles l’un à l’autre, ce qui enlève déjà plusieurs chapitres au livre des malheurs et des désagréments qui pourraient leur tomber dessus. Mais il y a d’autres types de difficultés, au quotidien, qui mettent l’amour à rude épreuve. Par exemple – j’invente, là, j’invente, je ne parle jamais de ma vraie vie, hé oh! -: il n’aime pas le poisson alors qu’elle, oui, il n’aime pas être en retard alors qu’elle n’en a cure, il met le ménage dans son horaire alors qu’elle nettoie quand elle en a le temps, il marche alors qu’elle lit, fait du ski alors qu’elle nage, elle a peur de la violence, même à la télé, lui s’endort durant les suspenses, elle aime la musique, lui, des vidéos explicatifs sur les moteurs, lui aime se lever tard, elle tôt, et ainsi de suite. La vie, longue, permet d’observer cela et bien d’autre différences plus profondes, des incompatibilités, même, qui égratignent sérieusement l’image finale du dernier épisode de l’histoire d’amour. Ce n’est ni dramatique, ni tragique, juste déstabilisant. Pas trop. À condition de rester souple léger, ouvert.

Normalement, ce ne sont pas les difficultés passagères de la vie d’amoureux qui m’incitent à me précipiter sur les histoires d’amour. Sauf que, en ce moment, il y a la guerre en Ukraine, ça fait mal et je ne peux rien faire sauf envoyer des sous ; sauf que, en ce moment, on sort à peine, et peut-être pas non plus, d’une pandémie durant laquelle notre vie devait se vivre à l’intérieur de nos murs; sauf qu’il y a la famine au Yémen, dont personne ne parle plus; sauf que l’armée du Myanmar a mis 10 000 manifestants en prison depuis 3 mois, sans compter les personnes qu’elle a tuées; sauf que, plus on en sait sur les paradis fiscaux, plus on découvre que c’est une hydre à mille têtes que personne n’affronte, finalement, malgré les promesses; sauf que, bientôt, il n’y aura plus de tortues ni de requins ni de récifs de corail, ou si peu; sauf qu’il faudrait bien que le Canada se déniaise et impose sa souveraineté sur une partie de l’Arctique parce que Putin va tout gober et ainsi de suite. Ainsi de suite

Dans ces conditions, vous comprenez que n’importe qui, même les gens instruits et avisés (ce que je ne suis pas toujours, loin s’en faut) regardent de temps en temps des histoires d’amour qui finissent bien. Ça aide à atterrir sur un tout petit nuage au bout de sa journée avant de recommencer à affronter le malheur du monde le lendemain.

 

 

 

 

Un souffle

Je regarde la télé. Une dramatique. Des personnages qui ont chacun sa propre trajectoire, laquelle nous est révélée peu à peu à mesure que l’histoire avance.

Celui-là a vu sa mère mourir dans des circonstances étranges et, dans la pensée –  c’est rapide – on se les remémore à chaque fois qu’il apparaît sur l’écran.  Il a un bagage, une sorte de bulle autour de sa tête, qui se promène avec lui, qui sera de plus en plus grande et grosse à mesure que l’histoire sera racontée. Homme, 55 ans, sportif malgré ses pieds plats, a beaucoup aimé cette mère disparue, a épousé une femme dont il se demande si elle l’aime encore et ce que c’est que l’amour à 55 ans, architecte frustré de n’avoir jamais réalisé un seul projet qui l’a enthousiasmé vraiment, une création qui aurait pu changer sa vie et celle des immeubles de sa société, etc. Il échange avec un autre personnage. Femme, 53 ans, se regarde très peu dans la glace, aime le vin blanc et le bacon bien cuit, a pratiqué plusieurs métiers, se demande si elle est centrée, voudrait faire du yoga pour se calmer mais surtout pour rester svelte, aime trop les romans policiers, a décidé de ne plus se poser de questions sur son union et ses enfants parce qu’elle est incapable d’y répondre, etc. Bulles superposées et bien organisées de deux personnages de télé.

Je ferme la télé. Les personnage me suivent, viennent ajouter leur bulle à la mienne, qui est déjà volumineuse. Femme, cheveux abondants et frisés mais pas trop, qui regrette d’en perdre mais qui se trouve chanceuse d’en avoir encore autant à son âge, qui aime les projets mais, désormais, les réalise à un rythme plus lent parce qu’elle sait qu’elle ne changera pas le monde et que, des fois, c’est agréable de ne pas travailler, qui recoud les boutons à ses robes achetées dans des friperies, qui voudrait bien, avant de mourir, voir son opéra présenté sur une scène, même petite, qui commence à avoir mal régulièrement au petit orteil du pied gauche, qui… et ainsi de suite.

Ma bulle est grande, grosse, fournie – lourde? je ne sais pas. La vôtre aussi, celle de tous les humains, en fait. Et on les entretient bien ces, bulles, on est encouragés à les chérir et à les protéger. L’individualisme, ça s’appelle.

Et puis, un jour, on pousse son dernier souffle. On est emporté. Ailleurs. Le contenu des bulles disparait-il totalement? Si non, qu’est-ce qu’il en reste? Et où? Toutes ces notes qu’on prend, ces projets qu’on mûrit, ces goûts et dégoûts dont on fait la liste régulièrement, ces espoirs qui s’élèvent en un brasier lumineux, ces rêves qui s’écroulent comme des immeubles bombardés, ces incapacités sur lesquelles on s’use les dents, ces capacités qu’il faut toujours entretenir, toutes ces valises qu’on traîne, ces porte-conteneurs chargés à ras bord de pensées accumulées depuis qu’on est au monde, ces bulles qui deviennent tellement terriblement plus lourdes que nous si on n’y fait pas attention, où vont-elles?

Et il ne faut qu’un souffle pour les anéantir. Un. Souffle. Explosion des porte-conteneurs. Ils coulent dans une mer sans eau.

Oh.

Je crois que je vais continuer à regarder la télé jusqu’à ce que je m’endorme.

Ouais.

Moi, mon corps, mon âme, etc.

Entre l’information et la désinformation, depuis quelques années, ces jours-ci surtout, il n’y a qu’une fine ligne que je discerne de moins en moins.

Entre l’impuissance et le laisser-aller, rien n’est visible, sauf pour la personne qui essaie de s’extirper de l’un et de ne pas être abattue par l’autre. Et vice-versa.

Entre la colère et l’exposé bien structuré et vindicatif (mais probablement inutile) au sujet de l’atrocité et de la cruauté de la guerre, il n’y a qu’un souffle, qu’un petit pas intérieur. J’essaie de rester sur le pas de la porte entre les deux, mais c’est difficile.

J’adopterais tous les tons que je connais, depuis les notes blanches et noires de tous les arpèges du piano jusqu’aux sons de la nature et des animaux, en passant par la menace, le chantage, la promesse, la mièvrerie, l’amour, le sens de l’éternité de l’histoire, j’utiliserais tous les tons, couleurs, nuances et puissances vocales et mentales que je connais, que j’ai développées au cours des années, pour essayer de persuader quelqu’un d’arrêter la guerre. Mais toutes ces belles capacités, acquises de haute lutte, sont inutiles, ô frustration.

Je suis là, moi, mon corps qui respire et qui mange, qui expulse, qui pense, qui s’émeut, qui s’attriste et se révolte et ahane tant la douleur est intense, et qui hoche la tête d’un côté et de l’autre parce qu’elle ne tient presque plus sur mes épaules tellement elle me fait mal, je suis là, donc, et il me semble que je suis immobile, figée, au centre de toute cette incertitude, cette cruauté, cette stupidité gigantesque et insensée que constitue l’attaque de Putin sur l’Ukraine, ou la faim généralisée au Yémen. Le monde se liquéfie sous les bombes, mes tympans sont arrachés, la vie éclate en gravats et blesse les chairs, celle des enfants, des femmes, des hommes et des animaux, et attaque tout tout ce qui est vivant partout sur notre planète. Partout.

Et moi, mon corps, mon âme, on n’y peut presque rien. Infinitésimalement rien *.

Ça ne veut pas dire que je n’envoie pas d’argent pour aider – infinitésimalement peu -, ça veut simplement dire que l’amour, la paix, l’entr’aide et la solidarité salvatrices n’ont aucune puissance aujourd’hui pour arrêter tout ça. Pour arrêter quoi que ce soit d’ailleurs.

À quoi servez-vous, moi, mon corps, mon âme, etc. ? À quoi je sers?

 

*Je sais, ce n’est pas un mot, mais il me semblait que, dans les circonstances, ça disait ce que ça voulait dire.

QUOI? Comment ça?

Ce fou de Putin a traversé la frontière de l’Ukraine avec ses chars d’assaut, ses bombes, ses lance-roquettes, ses avions de combat, en dépit de ses engagements internationaux, en dépit de toute humanité, en dépit du fait que personne ne lui a jamais déclaré la guerre, et on peut pas l’arrêter?

Ce parano de Putin est en train de tuer des centaines, des milliers, des millions de gens sans doute sous prétexte que… – sous quel prétexte, d’ailleurs, c’est franchement nébuleux et fabriqué de toutes pièces –  et on ne peut pas l’arrêter?

Des milliers d’enfants seront déplacés, à jamais brisés par la mort de leur père, sa disparition ou son infirmité, par le chagrin de leur mère, par la faim, la soif, la fatigue et on ne peut rien faire?  On ne peut arrêter le responsable de cette horreur? On ne peut pas? Pourquoi ça? Parce qu’il est le plus fort? Hein? Pardon? Qu’est-ce que vous dites?

C’est quoi, ce monde dans lequel nous vivons, que nous avons construit, si personne d’entre nous ne peut arrêter les meurtriers en série, les despotes, les tyrans, les nouveaux Hitler, Mussolini et Staline (et j’en oublie plusieurs, qui vivent entre autre dans les pays africains), c’est quoi, ce monde ?

C’est quoi?

 

Trop tard?

Quand on a passé la septantaine, il faut se rendre à l’évidence d’une réalité douloureuse, celle qu’il est désormais trop tard pour réaliser certains projets, pour poser certains gestes ou pour atteindre certains objectifs. Par exemple :

Quand on n’est pas scientifique, vaut mieux attendre à une prochaine vie pour vouloir un Nobel en chimie – mais on peut toujours potasser le livre de chimie de son petit-fils qui étudie au CEGEP, en espérant que ledit livre ne soit pas écrit en anglais.

Quand on n’a pas eu d’enfants issus de son propre corps, vaut mieux y renoncer pour le reste de ses jours, vraiment-vraiment – mais on peut toujours adopter temporairement, et pour certaines périodes limitées, ceux des autres.

À ceux qui n’ont pas pu devenir astronautes, je suggère de mettre un casque protecteur et de se laisser balader par un jeune de 18 ans pressé de se rendre en moto à un Rave, ça leur donnera une idée de ce à côté de quoi ils ont passé et leur enlèvera peut-être leurs regrets.

Pour écrire un best-seller, il n’est pas trop tard, mais faudrait commencer à travailler illico en utilisant la recette suivante : beau gars + belle fille + obstacles naturels (comme forêts, ravins, guerre et radio-activité en goguette, c’est tendance), + espion russe (facile, au moment où on se parle) + arme de poing + président débile qui aime dictateur (inspiré de la vraie vie), ne pas oublier sexe débridé (comme dans les rêves de leur adolescence) et fin explosive. Mélanger, ajouter un peu de curcuma et de gingembre pour le goût, et de soda à pâte pour la digestion. Bonne chance !

Pour devenir riche et connu, il faut vite causer un scandale en demandant des sous sur FB pour une cause factice, en acceptant à l’avance que le stratagème ne fonctionne pas aussi bien que ceux de camionneurs qui, pour protester contre une « dictature sanitaire », vont manifester -librement et en chantant-, et bloquent -librement et en chantant- durant des semaines les déplacements de tout le monde autour d’eux.

Pour apprendre à courir un marathon, à lancer du javelot, à faire du patinage artistique, à devenir avaleur de feu ou de sabres (quoique…), directeur artistique d’une compagnie (sans le sou, naturellement), il est sans doute trop tard, mais pas pour apprendre à danser en ligne. Réjouissez-vous, sauf que ça ne vous donnera pas de talent si vous n’en avez pas.

Trop tard pour… pour quoi d’autre, au juste?

Faire de la planche à voile, monter l’Everest, marcher toute la Muraille de Chine (qui est en petits morceaux sur une bonne partie de sa longueur, rappelons-le), devenir pianiste de concert ou chanteur populaire (à moins qu’il y ait une émission de Star Académie pour les vieux, ce dont je doute), trop tard, donc, pour tous ces projets qui demandent des années de travail avant de se réaliser.

Compris?

Mais il n’est pas trop tard, jamais trop tard pour planter des arbres , faire son potager -même si le sol nous apparaît de plus en plus bas-, nager à la mer, mettre de la crème solaire, préparer des festins, donner à des institutions charitables, sauver des chats, des chiens et des baleines, rire avec nos amis ou se chagriner de leurs maux, apprendre tout ce qu’on veut, marcher partout où on veut, prendre parti pour la démocratie, manifester pour l’écologie, acheter et lire de bons livres, consommer local, encourager les plus jeunes et leur dire que ce n’est pas si mal, vivre jusqu’à la septantaine. Leur dire ça et le leur souhaiter. Le leur souhaiter de tout coeur ainsi qu’à leurs enfants. Pas trop tard non plus pour acquérir à la fois un sentiment de l’importance primordiale du présent et une sorte de goût d’éternité dans ce présent. Pas trop tard pour essayer de découvrir encore et toujours la réalité de nos vies sur cette planète et la valeur de l’entr’aide, de la solidarité, de l’écoute, et, à l’opposé, s’indigner de la recherche obtuse du pouvoir, de la guerre, de la cruauté,  du radicalisme, du racisme, du harcèlement, de la violence et du despotisme.

On peut tout de même faire beaucoup, non, à la septantaine? 

Rendez-vous dans quelques années, où on se parlera de nos quatre fois vingt ans. Je l’espère, du moins.

 

 

 

 

 

48 heures

Si on vous demandait – ou si vous vous demandiez – quelles sont les 48 heures les plus marquantes de votre vie, que répondriez-vous?

Y a-t-il 48 heures qui ont vraiment changé votre vie, qui ont été un tournant, une pierre d’assise, un rempart, une destruction majeure, un cataclysme affreux ou un événement d’une douceur jusqu’alors méconnue, si troublant qu’il vous chavire encore aujourd’hui, un 48 heures que vous voudriez raconter à tous – ou surtout pas à qui que ce soit, même pas à la personne la plus proche de vous – un 48 heures de feu, de gaz et de sang, un cocktail Molotov dans vos fondations, une inondation de pleurs ou une cascade de rires qui vous font encore trembler, une rencontre amoureuse si intense que vous en avez encore des frissons?

Il me semble que tout le monde a connu ce 48 heures-là. Ça peut être seulement un long deux jours durant lesquels vous avez été seul.e devant la mer et que, pour la première fois, vous vous êtes laissé.e.s bercer par sa rumeur constante, ou alors celui où vous êtes allé.e au chevet d’une tante mourante, qui a repris conscience seulement quelques minutes pour vous regarder avec un sourire si lumineux qu’il vous semble avoir compris, un instant tout bref, la vraie nature de la vie humaine sur terre – et vous l’avez gardée en mémoire depuis.

Ça peut être la première fois qu’une personne a lu un de vos textes et que vous étiez tellement retournée de la réception chaleureuse du public qu’il vous fallu deux jours entiers pour vous en remettre et que vous n’avez pas dormi une seule minute durant ces deux jours.  

Ça peut être ce séjour que vous, étudiant.e de 18 ans, avez fait chez vous,  pendant lequel il vous est apparu – enfin – que vos parents n’étaient pas seulement vos parents mais de vraies personnes entières, avec des pensées qui ne tournaient pas toutes autour de vous et des destins qui s’éloignaient déjà du vôtre. C’était votre entrée dans l’âge adulte.

Ça peut être ce moment, et il a encore une odeur, celui-là, où vous vous êtes rendu.e compte que vous étiez tellement rigide et tendu.e que, malgré votre désir, vous ne pouviez ni vous pencher si humer la fleur que vous aviez à vos pieds et que vous avez décidé de faire du yoga, de la danse, des arts martiaux, tout, n’importe quoi, et que vous avez mis deux jours pour vous inscrire partout partout, dans l’idée bien arrêtée d’être capable de vous plier jusqu’à terre pour sentir et toucher les fleurs – même les plus petites – et l’herbe et les cailloux jusqu’à vos 90 ans.

Ça peut être ce moment terrible, qui en suivait un autre encore plus terrifiant, durant lequel vous avez compris qu’il ne fallait pas que vous mettiez fin à vos jours malgré votre cruel mal de vivre parce vos enfants avaient besoin de vous pour grandir. Il vous a fallu 2 jours, l’un pour monter, et l’autre pour  redescendre de ce promontoire d’où vous aviez pensé vous jeter.

Si on vous demandait, vous, quelles sont les 48 heures les plus importantes de votre vie, que répondriez-vous?

Nos vies sont pleines de moments marquants. Quelquefois, c’est nous qui les provoquons, d’autres fois ils surgissent devant nous, bon ou mauvais, agréables ou odieux, et il faut faire face ou se cacher, sauver sa vie, sa peau, abandonner de gré ou de force sa vie d’avant et se glisser, s’insérer ou être catapulté.e dans une vie nouvelle, celle qui s’est dessinée après ce 48 heures. 

Et ne me dites pas que vous n’avez rien connu de tel. Regardez un peu, un tout petit peu derrière vous. Allez, courage. C’est pour vous, pas pour moi. Mais, si vous me le racontez, ça me ferait plaisir.

 

 

 

De la relation entre la curiosité et les genoux

Suis étendue sur mon lit, à me reposer un peu, et soudain me vient une impulsion. Ma voisine s’est construit une maison à quelque 200 mètres de chez moi et j’ai bien envie d’aller y jeter un oeil, surtout qu’elle l’a juchée sur un promontoire, qu’elle y a ajouté une plate-bande dernièrement et qu’elle est sensée y avoir installé enfin ses électro-ménagers. Sans compter qu’elle est absente en ce moment et que je pourrais tout examiner à loisir sans avoir à saluer et jaser de choses et d’autres. Très curieuse, je suis, de ce qu’elle a apporté comme améliorations à sa construction – qui s’étire depuis nombre d’années- et à son aménagement paysager.

Mais voilà que, toujours étendue, me monte une douleur aux genoux dont mon corps se fait une spécialité depuis quelques temps. Ça fait suffisamment mal pour que je me demande quand ça cessera.

Me revient en tête la vision de la maison, et je me rends compte que mon impulsion a diminué d’intensité, que ma curiosité, si vive il y a quelques instants, a fondu comme neige en mars, puis en avril. Mes genoux élancent, je pense à me mettre debout, je manque de courage, j’y renonce pour l’instant, et je constate sans tristesse que mon envie d’aller voir s’est effritée en tout petits morceaux, en poussière, en rien du tout.

Quand on est enfant, on court, quand on est adulte, on avance (ou on essaie) quand on vieillit on choisit où on va. Et, des fois, on n’y va pas du tout.

Fumée

Un thé Tchai

Qui fume

Trop

Sur ma table

Mes bagues

Qui brillent

Sous l’abat-jour

De ma table

Ma théière cassée

Ma tasse tachée

Mes yeux bandés

Et ma table

Sur quoi tout rancit

Repose s’étale

Pour rien parce que rien

D’intéressant

Énumération

Il y en a qui écrivent comme on remonte à force de bras l’eau d’un puits, avec effort, acharnement, entêtement, espoir
Il y en a qui écrivent comme on rejette son eau trouble dans une source claire
D’autres qui écrivent sans savoir que les mots sont des lames aiguës, aiguisées, et qui tournent le dos quand les couteaux ont frappé
Il y en a qui écrivent en roulant des épaules, convaincus qu’ils flottent au-dessus des épinettes de nos têtes
Il y en a qui écrivent comme on se gargarise, ça renâcle, ça crachote, ça toussote mais ça ne sert à rien
Il y en a qui écrivent comme on cueille une goutte de rosée un matin d’automne froid, avec parcimonie, en frissonnant, avec respect pour la promesse d’un jour nouveau, d’une eau nouvelle
Il y en a qui écrivent comme on descend un fleuve, avec rapides, boues, tourbillons et bouillons d’écume
D’autres qui écrivent comme on tend une main ouverte, paume offerte, au vent qui passe
D’autres, enfin, qui déambulent à travers les mots, les assemblant en une courtepointe bigarrée
Il y en a, il y en a
Il y en a
Et il y a moi
Et mon goût de terre
De sillons
De semences
De soins
Qui, comme plusieurs, veut servir
Qui quoi quand comment
Rien, tout. Vous.
Tout ce qui vit, souffre, entend, sent, pense, agit et réagit
Tous les univers visibles et invisibles de nos âmes dans la tourmente, le froid, l’illusion, le vide et le plein.